Le site de Bohan-Membre est localisé dans la partie ardennaise de la vallée de la Semois, peu avant son entrée dans les Ardennes françaises, entre les villages de Bohan et de Membre (commune de Vresse-sur-Semois).
Le cadre géologique et géographique de la région a été esquissé récemment par BELANGER (2019) dans la notice explicative de la nouvelle carte géologique, ainsi que par CHARLET (2018 et 2020). On se trouve sur le flanc sud du massif cambrien de Rocroi remontant à 500 millions d'années. Les terrains appartiennent au Dévonien inférieur (Lochkovien - Praguien) qui ont subi les contraintes de l'orogenèse varisque (vers 310 millions d'années) ainsi qu'un métamorphisme régional, ayant mené à des plissements et des failles et à la transformation des shales en schistes.
La région de Bohan-Membre est marquée par des ensembles de formations détritiques schisto-gréseuses variées (quartzites, grès, pélites, siltites, argiles, ...). Ces roches donnent des sols argilo-siliceux peu propices à l'agriculture mais favorable à l'installation de la forêt.
Plusieurs affleurements rocheux pointent sur le versant et la crête du méandre, le plus connu étant la Table des Fées, bien décrit par DEJONGHE et JUMEAU (2007) dans leur ouvrage "Les plus beaux rochers de Wallonie". Cette formation rocheuse regroupe les différents rochers qui forme la crête de la colline enserrée par l'étroit méandre de la Semois, au nord de Bohan.
La Semois a creusé sa vallée au sein de ces roches schisto-gréseuses et s'écoule à présent à travers des alluvions modernes, de manière serpentueuse en une succession de méandres très caractéristiques. Entre l'ile de Membre et celle de Bohan, la Semois parcourt plus de 5 km en effectuant un méandre très ample qui s'étire sur plus de 2 km selon un axe nord-sud, et atteignant une largeur maximale de 1,1 km au lieu-dit Membroise. Les versants de la vallée sont fort abrupts, avec une dénivellation entre le point le plus élevé (plateau de Hérissart) et le cours d'eau atteignant les 200 mètres. La plaine alluviale se situe ainsi vers 170 m d'altitude tandis que les plateaux au sommet des versants de la vallée approchent les 370 m.
Trois ruisselets dévalent le versant nord et est du méandre : le Sautou, le ruisseau de Ransnimont et le ruisseau de Lamberfond.
La partie sud du méandre est percée d'un tunnel ferroviaire aujourd'hui désaffecté et long de 270 m.
Du point de vue biogéographique, la région de Bohan-Membre se trouve en Ardenne occidentale, dans la région continentale et au sein du district phytogéographique ardennais.
La végétation de la réserve naturelle de Bohan-Membre et de ses environs est remarquablement variée et riche d'éléments originaux, tant parmi les plantes vasculaires que la bryoflore ou encore les communautés de lichens.
Au cours du 20ème siècle, plusieurs auteurs dont TANGHE (1969, 1970) et DE ZUTTERE et al. (1973) fournissent des descriptions plus ou moins détaillées des communautés végétales en place à l'époque.
Sur le plateau de Hérissart, on trouve une chênaie-boulaie d'essartage à Holcus mollis, Pteridium aquilinum et Stellaria holostea. La strate arborescente comporte Betula pubescens, B. pendula, Quercus petraea, Q. robur, Carpinus betulus. Parmi les arbustes : Corylus avellana, Sorbus aucuparia, Frangula alnus, Malus sylvestris,... Les espèces herbacées dominantes du sous-bois sont Stellaria holostea, Holcus mollis, Teucrium scorodonia, Pteridium aquilinum, Melampyrum pratense, Deschampsia flexuosa, etc.
Les versants sont occupés par différents groupements forestiers dont :
- la frênaie-érablaie riche en Tilia platyphyllos, Mercurialis perennis et Asplenium scolopendrium qui se développe surtout sur les éboulis et dans les vallons ombragés. On y trouve également Fraxinus excelsior, Acer pseudoplatanus, A. platanoides, Ulmus glabra, Prunus avium, Sambucus racemosa. En sous-bois, Cardamine impatiens et nombre de fougères: Asplenium scolopendrium, Polystichum setiferum, P. aculeatum, Dryopteris filix-mas, D. carthusiana, D. affinis, Athyrium filix-femina, Polypodium vulgare (Fraxino-Aceretum).
- la chênaie-charmaie riche en Acer pseudoplatanus à Lamium galeobdolon et Arum maculatum, qui colonise les colluvions de bas de pente. On y trouve diverses espèces mésophiles telles que Galium odoratum, Polygonatum verticillatum, mais aussi Allium ursinum qui forme au printemps des tapis presque continus (Primulo-Carpinetum).
- la chênaie-charmaie à Anemone nemorosa, Convallaria majalis, Luzula luzuloides, sur les pentes faibles (Stellario-Carpinetum).
- la hêtraie acidiphile à Carpinus betulus riche en Festuca altissima, sur les versants abrupts (Luzulo-Fagion).
Les ruisselets qui dévalent les pentes forestières sont bordés d'aulnaies rivulaires à Chrysosplenium oppositifolium, Carex remota, Circaea x intermedia (Carici remotae-Alnetum).
En bordure de la Semois, sur les plages de galets, poussent de nombreux hélophytes et espèces des roselières comme Phalaris arundinacea, Carex acuta, Iris pseudacorus, Rorippa amphibia, Lysimachia vulgaris, Equisetum fluviatile, Stachys palustris, Persicaria bistorta, Sparganium erectum, Butomus umbellatus, Lythrum salicaria, Schoenoplectus lacustris, Impatiens noli-tangere, I. glandulifera,... (Phragmition).
Dans l'eau de la rivière, les herbiers de Ranunculus fluitans (Ranunculion fluitantis) constituent l'essentiel de la végétation aquatique.
Diverses plantes rares ont été signalées dans le passé: notamment Ranunculus platanifolius a été observée dans l'ouest de la réserve (d'après F. d'Ursel) et Stellaria nemorum subsp. glochidisperma (P. De Zuttere). En outre, PARENT (1980) signale Heracleum laciniatum, espèce introduite en bordure de la réserve, à l'entrée du village de Hérisson.
Intérêt lichénogique
Les communautés de lichens de Bohan-Membre, qui historiquement ne semblent pas avoir fait l'objet d'investigations, ont été étudiées récemment par ERTZ (2020) lors de prospections menées les 3 et 7 novembre 2020. A cette occasion, 140 espèces de lichens ont été observées dans la réserve naturelle et ses alentours. Parmi elles, 56 sont saxicoles (y compris sur mousses saxicoles) et 84 épiphytes. Lors de ces prospections, 30 espèces de lichens ont été observées sur Quercus, 22 sur Fagus, 21 sur Carpinus, 14 sur Acer, 16 sur troncs morts, tandis que des essences moins représentées (Alnus, Betula, Corylus, Fraxinus, Larix, Tilia, Salix) portaient chacune moins de 10 espèces. Les chênes semblent donc les plus diversifiés en lichens.
La majorité des espèces observées se concentre sur les affleurements rocheux et sur les arbres en ambiance forestière. La richesse et l'originalité de cette biodiversité lichénique sont dues au bon état de préservation de la forêt et d'une humidité élevée et assez stable en sous-bois.
Dans cette étude, plusieurs habitats sont mis en exergue pour leur intérêt lichénologique élevé:
- l'érablière de ravin à l'épiphytisme important, avec notamment le très rare Porina borreri et les rares Coniocarpon cinnabarinum et Fellhaneropsis vezdae. Zwackhia viridis y est localement très abondant. D'autres espèces plus communes sont Arthonia atra, A. didyma, A. radiata, Bacidia rubella, Graphis scripta, Normandina pulchella, Opegrapha vermicellifera, O. vulgata, etc.
- les chênaies-charmaies, également diversifiées avec Alyxoria varia, Arthonia vinosa, Chrysothrix candelaris, Diarthonis spadicea, Evernia prunastri, Flavoparmelia caperata, Lecanactis abietina, Lepra amara, Lepraria incana, Ochrolechia androgyna, Pertusaria albescens, P. flavida, Pyrrhospora quernea, Porina leptalea, Varicellaria hemisphaerica, etc. Les très rares Caloplaca lucifuga et Gyalecta carneola colonisent de gros troncs de Quercus. Cladonia parasitica se cantonne exclusivement sur les souches et les troncs pourrissants, ce lichen lignicole étant confiné aux forêts riches en bois mort, surtout de Quercus. Les troncs morts sur pied, appelés chandelles, sont colonisés par le rare Chaenotheca brunneola et d'autres espèces plus communes comme Calicium adspersum, C. glaucellum, Chaenotheca brachypoda et C. chrysocephala.
- les fourrés à Salix caprea occupant une partie de la plaine alluviale de la Semois, à l'emplacement d'anciennes pessières: ces arbustes portent une flore riche en macrolichens tels que Evernia prunastri, Melanelixia subaurifera, Parmelia sulcata, Punctelia subrudecta, Ramalina farinacea, etc. C'est là qu'a été découvert Phlyctis agelaea, espèce rarissime considérée comme absente du territoire belge, dont on a finalement découvert des spécimens d'herbier datant du 19ème siècle en provenance de Flandre Orientale, et qui n'a donc plus été signalée depuis plus d'un siècle! Il est surtout noté sur Salix caprea, plus rarement sur Fraxinus et Acer. Cette découverte plaide pour une gestion respectueuse des stades pionniers des forêts de plaine alluviale et devrait stimuler la reconversion des plantations d'épicéas (très pauvres en lichens) par des colonisations feuillues spontanées. La présence du castor dans le secteur est à cet égard un facteur de diversification de la couverture végétale, favorable à la biodiversité des lichens.
- les affleurements rocheux en sous-bois de feuillus et exposés à la pluie sont habituellement couverts de bryophytes mais aussi plusieurs macrolichens. Dans un éboulis rocheux moussus en rive droite de la Semois se côtoient notamment Peltigera horizontalis, P. membranacea et P. praetextata.
- les parois rocheuses ombragées, verticales et plus ou moins protégées des précipitations, mais ± humides, abritent Enterographa hutchinsiae, E. zonata et Opegrapha lithyrga. Le premier colonise aussi abondamment les gros troncs de Carpinus situés à proximité des affleurements rocheux. Sur les rochers plus humides ou temporairement inondés s'observent aussi Porina chlorotica et P. lectissima.
- les peuplements lichéniques stégophiles, c'est-à-dire localisés sur les roches en surplomb jamais mouillées par les pluies, sont plus diversifiés. Ils sont dominés par des champignons lichénisés uniquement connus à l'état stérile, se dispersant par reproduction végétative, soit par sorédies comme Dendrographa latebrarum et divers Lepraria (non identifiés), soit par fragmentation du thalle comme le lichen filamenteux Cystocoleus ebeneus. D'autres champignons lichénisés se disséminent en plus par conidies, donc par des spores asexuées tels que Sparria endlicheri et l'hyphomycète lichénisé Reichlingia leopoldii, deux espèces abondantes sur certaines parois rocheuses de la réserve. La découverte la plus remarquable est celle d'Opegrapha areniseda occupant de petites surfaces de deux parois schisteuses. La présence de cette espèce à Bohan-Membre souligne l'influence atlantique dont jouit la partie la plus occidentale du massif ardennais.
- les rochers éclairés et exposés à la pluie de l'éperon rocheux du Châtelet sont colonisés par le très rare Catillaria atomarioides et les plus communs Acarospora fuscata, Aspicilia caesiocinerea, Lecanora polytropa, Polysporina simplex, Rhizocarpon geographicum, R. lavatum, etc.
- les rochers éclairés plus ou moins abrités des pluies de l'éperon rocheux du Châtelet sont colonisés notamment par Leprocaulon microscopicum et Ramalina europaea (sub pollinaria in ERTZ loc. cit.).
- les rochers des berges de la Semois présentent des communautés très différentes, avec des espèces confinées aux rochers temporairement immergés des cours d'eau, à savoir les macrolichens Collema flaccidum et Dermatocarpon luridum, et les lichens crustacés Rinodina oxydata s.l., Staurothele fissa et Verrucaria praetermissa. Sur les gros blocs rocheux moussus s'observe même le rarissime Leptogium cyanescens. Le maintien d'une bonne qualité des eaux de la rivière et la conservation du caractère naturel des berges sont primordiaux pour la préservation de ces communautés riveraines exceptionnelles.
Dans une étude ultérieure consacrée plus largement à la Semois ardennaise, ERTZ (2023) signale la découverte de Lecanora cenisia sur l'éperon rocheux au lieu-dit "Le Châtelet". Ce lichen signalé pour la première fois avec certitude en Belgique, y colonise une paroi verticale éclairée et ± abritée de la pluie, sur un affleurement siliceux de crête entouré d'une forêt de feuillus. Au même endroit, mais sur tronc de chêne, a aussi été découvert le discret Ramonia chrysophaea, parfois considéré comme un champignon non lichenisé.