L.-M. DELESCAILLE et P. GOFFART (2009): Il n'y a pas eu, à notre connaissance, d'essai de recréation d'habitats semi-naturels en Région Wallonne dans le cadre du réaménagement des carrières après exploitation. L'expérience acquise à l'étranger permet de définir les critères de base à rencontrer pour que l'investissement soit 'rentable' au niveau biologique. Les quelques critères repris ci-dessous sont extraits de 'Reclamation Planning in hard Rock Quarries: a Guide to good Practice' (MIRO 2004) ; ils ne concernent que la création d'habitats semi-naturels sur des sols à faible pente (non inclus donc les pierriers et falaises).
1. la colonisation naturelle doit être encouragée lorsqu'elle est possible (présence de sites ' donneurs ' à proximité). L'étude des processus de colonisation spontanée à l'intérieur de la carrière ou dans des stations proches peut donner des indications utiles sur les facteurs qui influencent l'installation des organismes. La présence éventuelle de sites non-perturbés de référence permet de fixer l'objectif à atteindre (habitat-cible).
2. la nature du substrat influence de manière cruciale la colonisation végétale. Le substrat disponible dans les carrières est souvent très pauvre en sels biogènes (N, P, K) et en humus et a souvent une faible capacité de rétention en eau. Il peut aussi avoir été compacté par le passage répété des engins. Le fait que le substrat soit pauvre en éléments nutritifs n'est pas en soi problématique. En effet, les substrats riches sont fréquemment envahis par des espèces compétitives plus banales (espèces nitrophiles). Néanmoins, il peut être utile de mélanger différents substrats pour ' recomposer ' un sol adéquat, suffisamment rétentif en eau que pour permettre le développement des semis.
3. les dépôts de matériaux sont fréquemment disposés sur des pentes fortes favorisant l'érosion et rendant difficile la colonisation par les plantes (graines lessivées, racines déchaussées). Dans la mesure du possible, les profils seront établis de manière à réduire cet effet. Des techniques particulières permettent éventuellement de réduire l'érosion (utilisation de géotextiles, semis hydrauliques).
Recommandations
En fonction de ces critères, différentes recommandations peuvent être retenues. Elles sont largement inspirées d'une publication : Reclamation of Limestone Quarries by Landform Simulation, summary of Lessons learnt from Trial Sites (ECUS 2002).
Substrat et préparation du site
1. Le substrat doit permettre de rencontrer les exigences des communautés cibles. Dans ce cas précis, il doit avoir une haute teneur en calcaire et ne pas contenir de sol amendé. En particulier, il est recommandé de ne pas utiliser des terres de découverture provenant de sols cultivés. Ces derniers sont enrichis en azote et phosphore et, généralement, contiennent de vastes réserves de semences d'espèces nitrophiles indésirables. Par contre, lorsqu'elles existent, les terres de découverture provenant de sites portant la végétation-cible doivent être utilisées en priorité parce qu'elles contiennent vraisemblablement des semences dormantes des espèces typiques de l'habitat. Il est cependant bien documenté que peu d'espèces des pelouses calcicoles constituent une banque de graines permanente. Ces terres contiennent également les micro-organismes locaux et une certaine quantité d'humus. Dans le cas présent, les terres de découverture ne proviennent pas de pelouses existantes et cette recommandation n'a pas lieu d'être. Il est recommandé de déposer une couche de finition de (15) à 30 (50) cm d'épaisseur sur les matériaux de remblai. Cette couche sera composée de 30-50 % de particules grossières (type ' gravier ') et de 50 à 70 % de matériau fin (< 5 mm). Eventuellement, 5 à 10 % de pierres peuvent être ajoutés au substrat. Les boues de décantation peuvent être utilisées dans le mélange de ' fines ' pour autant que leur composition chimique ne soit pas modifiée par l'ajout de floculants ou qu'elles ne soient pas contaminées par d'autres substances (hydrocarbures,…).
2. A priori, les semis sont réalisés à l'automne ou au printemps. Chaque période a ses avantages et ses inconvénients. Les semis de printemps peuvent souffrir de la sécheresse estivale mais, s'ils survivent, ils sont mieux armés pour passer la mauvaise saison. Les semis d'automne peuvent être détruits par le gel hivernal mais, s'ils survivent, ils offrent une meilleure couverture du substrat et sont probablement suffisamment bien développés pour résister à la sécheresse estivale. Pour la plupart des espèces, le semis d'automne correspond à la période de dispersion naturelle, même si la germination n'intervient que le printemps suivant (nécessité pour certaines espèces de subir une vernalisation).
3. Il est impossible de donner des indications sur la pente et la topographie. Les pelouses calcicoles sont habituellement développées en situation de plateau ou de pente moyenne à forte, à exposition ensoleillée (ouest - sud - sud-ouest). Néanmoins, le couvert végétal se ferme plus rapidement sur les pentes faibles que sur les pentes fortes (meilleure alimentation en eau, moindre risque d'érosion). Sur les pentes fortes, le substrat est normalement constitué de matériau en place, stabilisé, alternant habituellement dalles rocheuses, replats et fissures. En cas de remblais meubles en forte pente, il peut être nécessaire de prévoir des dispositifs de stabilisation (merlons, murs de blocs ou gabions). On constate également que le couvert herbacé se ferme plus rapidement dans les dépressions que sur les buttes.
Néanmoins, la création d'un relief varié, avec des pentes, expositions diverses et, par endroit au moins, une mosaïque de buttes et de fosses, est intéressant pour diversifier la flore et la faune, notamment celle des insectes et des reptiles spécialisés. Des buttes de pierres plus grosses (10 cm à 50 cm) au bas des pentes seront également très appréciées des reptiles (Lézard des murailles et Couleuvre coronelle, Coronella austriaca)(Jacob et al 2007).
Le travail superficiel du sol avec un outil agricole permet de décompacter le substrat et peut créer artificiellement une succession de sillons et de buttes permettant de retenir l'eau et les particules fines dans les sillons. Afin d'éviter les risques d'érosion, ces sillons ne doivent pas être trop profonds (max. 10 cm de profondeur) et être tracés perpendiculairement à la pente du terrain.
4. La reconstitution du tapis herbacé se réalise par semis d'espèces sélectionnées en fonction de leur présence régionale et en fonction de leur aptitude à coloniser des substrats ' vierges '. Le choix du mélange initial et la technique de semis sont cruciaux pour la réussite de l'opération (voir annexes 1 et 2). Il y a à priori deux techniques possibles dans le cas qui nous occupe :
a) Le semis d'un mélange de graminées (souvent plus efficaces pour fixer le substrat) et d'espèces ' à fleurs ' (attrait paysager ; intérêt pour la faune). Ce mélange peut être obtenu par la récolte de graines dans un habitat de référence. Il peut également être obtenu par épandage de foin récolté dans un habitat de référence (le foin d'un ha permettant d'ensemencer environ 3 ha de surface neuve). Pour disposer d'un maximum d'espèces, il faut réaliser la collecte de semences ou l'épandage de foin à différentes périodes de l'année. Il peut enfin être obtenu en utilisant des mélanges commerciaux. Cette option est à éviter car il n'y a pas de mélange d'espèces typiques des pelouses régionales disponible dans le commerce. Il existe par contre des mélanges commerciaux provenant de pays voisins mais avec des espèces qui ne correspondent pas nécessairement à celles qui sont présentes dans la région ou, pire, avec des écotypes ' étrangers '. Or, l'objectif est de reconstituer un milieu qui soit aussi proche que possible des milieux semi-naturels régionaux.
b) Le semis de graminées. Dans cette option, on sème des graminées à faible développement qui stabilisent le substrat et ' préparent ' le terrain pour les espèces ' à fleurs ' (semis ' nurserie '). Ces dernières sont introduites en second lieu, lorsque le substrat est déjà plus ou moins colonisé et stabilisé par les graminées. La difficulté réside à nouveau dans la disponibilité d'espèces graminéennes de provenance régionale. Les espèces potentielles sont des fétuques à feuilles fines (groupe de Festuca lemanii), la koelérie grêle (Koeleria macrantha) ou l'amourette (Briza media), éventuellement le pâturin à feuilles étroites (Poa pratensis subsp. angustifolia). Les Agrostis (Agrostis tenuis, Agrostis gigantea, Agrostis stolonifera) ne font pas partie du cortège typique des pelouses ou seulement de manière très discrète. Il sont par contre souvent abondants dans les carrières abandonnées et ont un bon pouvoir couvrant. Ils pourraient avantageusement être utilisés en mélange avec les autres graminées locales. Les fétuques à feuilles fines (Festuca type ' ovina ') disponibles dans le commerce de graines ne sont pas recommandables car leur provenance est impossible à vérifier et elles ne font pas partie de la flore régionale. Il est cependant certain que des contaminations sont inévitables, certains espèces ayant été utilisées couramment dans les mélanges commerciaux se naturalisant facilement.
Phasage des travaux de remblaiement et de reconstitution de pelouses calcicoles
La société Lhoist prévoit d'accumuler et étaler ces remblais de matériaux calcaires et schisteux pendant plusieurs années. La reconstitution d'une pelouse calcaire ne pourra être menée qu'en fin de processus, après avoir atteint la hauteur de remblais souhaitée et avoir disposé la couche de finition à granulométrie adéquate (voir plus haut). Un phasage raisonné des travaux est hautement souhaitable afin (1) de permettre aux espèces animales protégées notées sur le site aujourd'hui de se maintenir et se perpétuer malgré l'enfouissement des friches actuelles, (2) de pouvoir procéder aux semis pour la reconstitution de pelouses calcicoles de manière progressive et pouvoir utiliser les graines produites sur les premières surfaces restaurées pour ensemencer les surfaces suivantes.
Il est donc demandé de chercher à adopter un rythme de création du dôme qui veille :
1) à maintenir chaque année des surfaces de 2 à 4 ha (soit 1/8 à ¼ de la surface totale) d'un seul tenant, tranquilles pendant au moins une année, de manière à permettre l'installation d'une friche temporaire favorable à la nidification de l'alouette lulu (qui niche de mars à août) ; ces surfaces auront de préférence un sol à granulométrie assez fine afin de favoriser leur végétalisation spontanée rapide.
2) à préparer des surfaces (1 ha au moins) pour la recréation de pelouses calcicoles, avec la couche de finition, le plus rapidement possible (2 à 3 ans par exemple) afin d'y procéder aux premiers semis herbacés; ces surfaces initiales pourraient être aménagées du côté de l'extrémité ouest du site ; elles serviront ensuite de source de graines pour ensemencer les surfaces qui seront aménagées par la suite, soit progressivement au fil des ans, soit à la fin des travaux de remblais (sachant que du foin récolté sur un ha permet d'ensemencer environ 3 ha).
Entretien des pelouses et boisement
Une fois les semis effectués, il sera nécessaire d'entretenir le site pour éviter son boisement. Il est actuellement difficile de prédire la vitesse avec laquelle il se réalisera après le dépôt des matériaux. Les observations montrent néanmoins des fourrés déjà bien développés sur des substrats de 4-5 ans. D'autre part, la possibilité de colonisation du substrat par les espèces pionnières ligneuses dépend de la présence de substrat nu, avec peu de compétition pour la lumière. Dès le moment où la végétation herbacée sera installée, on peut supposer que la colonisation par les ligneux sera plus difficile. D'autre part, si la population de lapin de garenne parvient à se développer sur le site, elle devrait assurer déjà une pression de pâturage permettant l'entretien de la pelouse. Quoi qu'il en soit, un faible taux de boisement (spontané ou par plantation d'essences feuillues indigènes adaptées) est intéressant afin de créer des effets de lisières ensoleillées, en périphérie ou sur la colline, favorables pour la faune et la flore, mais aussi d'un point de vue paysager. Ces bosquets ou haies vives ne devraient pas dépasser environ 10% de la surface restaurée. L'entretien ' en routine ' de la pelouse pourra être effectué soit par pâturage ovin extensif, soit par fauche. L'une et l'autre techniques permettent de contenir le boisement.