Un peu d'histoire
Depuis des siècles, les écosystèmes naturels des hauts-plateaux ardennais ont subi des perturbations plus ou moins importantes par l'action de l'Homme. Cette exploitation humaine, d'abord modérée, a entraîné au fil du temps une modification importante du paysage et l'apparition de différents de milieux secondaires dits semi-naturels à la périphérie des massifs tourbeux. Mais à partir du milieu du 19e siècle, les pratiques agropastorales traditionnelles (essartage, fauchage, stiernage, pâturage extensif...) ont été progressivement abandonnées et l'action de l'homme est devenue intensive. Le drainage des zones les plus humides s'est généralisé pour tenter d'installer des plantations intensives d'épicéas. |
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Des enjeux biologiques primordiaux
Les conditions écologiques et climatiques très particulières sur les hauts-plateaux ardennais sont à l'origine de milieux tout à fait originaux comme les différents types de tourbières, les landes, les bas-marais, les forêts très humides, ... Les flancs de ces plateaux sont progressivement découpés par des vallées qui abritent aussi des milieux particuliers comme les prairies et les forêts alluviales. Largement concernés par la mise en oeuvre de Natura 2000, ces biotopes abritent de nombreuses espèces emblématiques typiques de la toundra et des régions alpines comme le tétras-lyre, et plus globalement une flore et de nombreuses espèces animales exclusives de ces milieux. Les hauts-plateaux ardennais représentent donc un véritable enjeu biologique et patrimonial, isolé au plein de coeur d'une des zones les plus urbanisées de l'Europe occidentale. |
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Des enjeux environnentaux et sociaux essentiels
Les tentatives récentes de mise en valeur économique de ces types milieux caractérisés par des conditions écologiques extrêmes se sont révélées infructueuses. Malgré un drainage quasi systématique, les plantations résineuses y sont largement risquées et déficitaires. Elles sont à l'origine de nombreux problèmes hydriques. Or, à travers les processus biologiques réalisés par les écosystèmes naturels, ces milieux peuvent assurer une large diversité de services écosystémiques essentiels comme le stockage de carbone, l'amélioration de la qualité de l'eau et une meilleure capacité d'accueil du grand gibier. Ces différents milieux participent à la régulation hydrique des cours d'eau lorsque les drains périphériques des dépressions sont bouchés. Ils assurent aussi des services culturels importants comme le développement d'activités de loisirs et d'activités sportives essentielles pour la santé physique et mentale. Lorsqu'une infrastructure d'accompagement d'activités de découverte de la nature est mise en place, ils permettent de reconstruire et de développer le contact avec la nature et l'appropriation de valeur emblématique et patrimoniale. |
Des milieux très menacés malgré des statuts de protection
Ces activités humaines intensives de drainage systématique et de tentatives de plantations résineuses ont détruit sur de vastes zones des milieux naturels d'une valeur patrimoniale exceptionnelle. On estime qu'il reste actuellement de l'ordre de 30 % des 15.000 hectares de tourbières hautes, landes humides, tourbières boisées, bas-marais... qui occupaient ces hauts-plateaux, mais elles sont souvent en très mauvais état de conservation. En Wallonie, il existait probablement plus de 150.000 hectares de zones humides au sens large mais il en reste actuellement moins de 40.000 hectares. En 2002, les zones protégées par un statut de la Loi de la Conservation de la Nature ne dépassaient pas 9.500 ha (0.57% du territoire), et près de la moitié concernaient le massif des Hautes-Fagnes. Les autres massifs ardennais ne bénéficaient que de 750 ha de zones protégées alors que les zones restaurables dépassaient les 7.500 ha. |
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Le réseau Natura 2000 et les tourbières
La Wallonie a finalisé en 2002 ses propositions de désignation des périmètres des 240 sites Natura 2000 dans le cadre de la mise en oeuvre des Directives européennes CE79/409 "Oiseaux" et CE92/43 "Habitats". Ces deux Directives identifient des zones du territoire dans lesquelles des mesures de protection sont nécessaires pour assurer le maintien du degré de conservation d'une série d'espèces et de biotopes largement menacés. Tous les sites abritant des biotopes tourbeux et des milieux associés ont été identifiés et désignés sur l'ensemble du territoire wallon. Si la plus grande majorité d'entre eux se situe en Haute-Ardenne, le bassin de la Semois en accueille aussi. Ils bénéficient tous en principe d'une protection significative. |
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La mise en place d'une stratégie d'actions concertées
La protection des sites à travers les statuts de conservation de la Loi de la Conservation de la Nature ou de la mise en oeuvre de Natura 2000 était une étape nécessaire mais insuffisante. Tous les sites étant drainés ou partiellement plantés d'épicéas, le lancement d'un vaste programme de restauration s'est avéré indispensable. En 2002, un premier projet de restauration sur le Plateau de Saint-Hubert est né de la confrontation des enjeux biologiques de restauration de nombreux milieux très dégradés, de la présence de plus de 2.500 ha de plantations intensives sur des sols marginaux, dont une partie significative n'était pas rentable, et de la pression du grand gibier sur les essences de production. Vu les nombreux enjeux, seul un projet LIFE de restauration très ambitieux, à l'instar de celui qui venait d'être lancé pour les moules perlières , pouvait permettre de restaurer une surface significative en développant un réseau cohérent et fonctionnel de sites le long du réseau hydrographique. |
Ce premier projet ciblant les tourbières a servi de base au développement d'une stratégie d'actions visant l'ensemble des massifs tourbeux ardennais. 6 projets LIFEet LIFE+ se sont succédés, couvrant tous les hauts-plateaux ardennais.
Localisation des 6 projets LIFE de restauration de tourbières en Ardenne |
La concentration des actions sur un massif est indispensable pour maximiser les effets des restaurations, tant du point de vue de la biodiversité remarquable que de l'efficience de la restauration des processus écologiques et des services écosystèmiques (stockage de carbone, régulation hydrique, qualité de l'eau, capacité d'accueil du gibier, valorisation touristique, ...) et de la mise en oeuvre de mesures de gestion.
Les six projets LIFE concernés
2003-2007 : TOURBIERES : Restauration des tourbières du Plateau de Saint-HubertPartenaires : UGCSH - DGRNE Rapport simplifié : en français (PDF-10762 ko) | ||
2006-2009 : CROIX-SCAILLE : Actions pour les vallées et les tourbières de la Croix-ScaillePartenaires : Natagora - Commune de Gedinne - DGRNE Rapport simplifié : en français (PDF-2190 ko) - in English (PDF-2201 ko) | ||
2006-2010 : PLT TAILLES : Restauration des habitats naturels au Plateau des TaillesPartenaires : DGRNE - Natagora - sprl "Daniel BEMELMANS" Rapport simplifié : en français (PDF-2026 ko) - in English (PDF-2026 ko) | ||
2007-2012 : HAUTES-FAGNES : Restauration des landes et tourbières du Plateau des Hautes-FagnesPartenaires : DGRNE - Parc Naturel Hautes-Fagnes Eifel Rapport simplifié : en français (PDF-9123 ko) - auf Deutsch (PDF-9135 ko) - in English (PDF-9142 ko) | ||
2010-2014 : LOMME : Restauration des habitats naturels dans le bassin de la Lomme et zones adjacentesPartenaires : DGARNE - Contrat Rivière de la Lesse Projet encore en cours en 2014. | ||
2012- 2020: ARDENNE LIEGEOISE : Restauration de la fagne entre le Plateau des Hautes-Fagnes et le Plateau des TaillesPartenaires : DGARNE - Domaine de Bérinzenne |
Ce logo indique que le projet a été sélectionné par la Commission européenne comme étant un " Best LIFE Nature project " sur la base de différents critères : améliorations biologiques , économiques et sociales immédiates et à long terme , degré d'innovation et de transférabilité , pertinence de la stratégie et du rapport coût-efficacité . Le projet " Tourbières " de Saint-Hubert a été sélectionné pour la période 2007-2008, le projet " Plt Tailles " l'a été en 2011 et le projet " Hautes-Fagnes " vient de l'être ( Best of Best LIFE project ! ) en 2013. Deux autres projets du DEMNA ont bénéficié de ce label : " Moules perlières" en 2007-2008 et " Natura2MIL" en 2011. |
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Les actions réalisées
Les actions mises en oeuvre par les projets LIFE sont très diversifiées. Une série d'actions de protection des zones sensibles sont d'abord prises via l'acquisition des terrains, le placement sous un statut de conservation de la nature ou la signature d'une convention de protection sur une longue durée. Fin 2013, les cinq projets ont permis la protection de 2.180 ha de nouvelles zones protégées (acquisition de 411 ha et contrat longue durée pour 1.773 ha). >>> Pour en savoir plus sur la protection des sites |
En fonction des problèmes rencontrés et des caractéristiques écologiques, les peuplements résineux sont exploités ou broyés. Dans les zones ouvertes dégradées par la présence de drains, la couverture de molinies qui s'est développée est broyée ou étrépée pour restaurer les processus de colonisation par des espèces plus typiques des tourbières et des landes. Les nombreux drains sont bouchés et de multiples barrages compliquant la circulation hydrique sont installés. Fin 2013, les cinq projets ont permis le déboisement de 1.745 ha d'épicéas, le bouchage de 650 km de drains , la création de 10.000 mardelles , l'érection de 40 km de digues , l' étrépage de 105 ha de landes dégradées, le fraisage de 283 ha de tourbières dégradées et la régénération de 247 ha de forêts feuillues . >>> Pour en savoir plus sur les travaux de restauration |
Certaines zones sont ensuite gérées par pâturage (moutons, vaches, ...) pour entretenir une dynamique de perturbations et de dispersion des gènes dans les zones destinées à rester plus ou moins ouvertes (accès du public, gagnages, paysages, ...). Ailleurs, la colonisation arborée suit son cours. Fin 2013, les cinq projets ont permis l'installation de 125 ha soumis à une fauchage périodique pour reconstituer des prairies maigres et environ 600 ha de milieux prairiaux et de landes humide à tourbeuses sont pâturées par des bovins ou des ovins. >>> Pour en savoir plus sur la gestion des sites |
Des aménagements de sensibilisation du public, d'appropriation et de valorisation sont installés dans une partie des sites où de nombreuses activités sont proposées pendant la durée des projets. L'infrastructure écologique restaurée est valorisée à travers des circuits de promenade et l'installation de miradors. >>> Pour en savoir plus sur la sensibilisation du public |
Exemple de travaux réalisés au Plateau des Tailles avec les sites protégés existants de Robiefa et de Nazieufa (en orange) et les nouveaux sites restaurés sur la Fagne du Pouhon (en jaune ) qui assurent maintenant une continuité quasi-complète sur plus de 10 km vers la Fagne de la Goutte plus au sud puis la Fange aux Mochettes puis Fagne de Samrée (voir l'amplitude des travaux sur BING).
Les résultats des 5 projets terminés
Les cinq projets terminés ou en voie de l'être avaient pour but de restaurer un peu moins de 1.400 hectares de zones protégées existantes et de créer de l'ordre de 1.400 hectares de nouvelles zones protégées . Le bilan final est beaucoup plus important puisqu'on atteint plus de 2.700 hectares de nouvelles zones bénéficiant d'un statut de protection ou de contrat de longue durée. Par rapport aux 9.500 hectares protégés par un statut de Loi de la Conservation de la Nature en 2003, cela représente une augmentation considérable.
Globalement, les cinq projets avaient comme objectifs la protection et la restauration de 2.800 hectares. Les résultats montrent que la surface restaurée dépasse largement les 4.500 hectares.
Synthèse des objectifs et des résultats des zones restaurées dans les 5 projets LIFE terminés ou en voie de l'être
Près de 1.745 hectares de plantations résineuses sur sols très humides ont été restaurés et sont maintenant destinés à la conservation de la nature et à la réalisation de services écosystémiques. Contrairement à une idée répandue, les projets LIFE, bien qu'ambitieux, ne sont pas responsables d'une évolution régressive de la capacité de production de résineux en Wallonie. En effet, les résineux touchés par les life concernent moins de 1 % de la surface de résineux en Wallonie et occupent des zones qui devraient être exclues de la notion de « forêt productive » servant de référence pour maintenir l'équilibre résineux-feuillus promu par le Code forestier.
Les indicateurs biologiques
Les résultats des suivis scientifiques des cinq projets feront l'objet d'une synthèse prochainement. Il est néanmoins déjà évident que les travaux de restauration ont transformé les paysages des hauts-plateaux ardennais. De nombreuses vallées et zones de sources sont maintenant dégagées des plantations résineuses et le régime hydrique est en voie de restauration progressive. Seule une petite partie de ces zones ouvertes (20-30 %) est en principe destinée à le rester pour permettre l'installation d'habitats ouverts (landes, tourbières, bas-marais...). Ailleurs, la colonisation naturelle forestière s'installe là où les densités de gibier le permettent et dans les zones clôturées. Plusieurs espèces qui faisaient partie des listes rouges d'espèces menacées montrent une réponse positive. Il s'agit notamment de nombreuses espèces de libellules ( Parkinson, 2008 , Dufrêne et al, 2011 ) ou de papillons de jour. Le Nacré de la Canneberge ( Boloria aquilonaris ) présente par exemple une extension remarquable en recolonisant notamment plusieurs sites dans les différents massifs. |
Certaines espèces végétales comme les lycopodes apparaissent également dans plusieurs nouvelles stations, principalement dans les Hautes-Fagnes, avec notamment la réapparition du lycopode inondé ( Lycopodiella inundata ), espèce qui avait disparu du haut plateau fagnard depuis plus de 40 ans. Les relevés phytosociologiques réalisés montrent une évolution très rapide des zones restaurées avec l'augmentation significative de nombreuses espèces indicatrices (sphaignes, linaigrettes, canneberge, carex, ...).
>>> Pour en savoir plus sur les résultats biologiques
Les services écosystémiques
Ces travaux sur les hauts-plateaux initient aussi la restauration du fonctionnement de ces écosystèmes humides. Si les zones tourbeuses des sommets et des cols contribuent assez peu à une restauration des flux hydriques, l'ensemble des travaux comme l'élimination des drains et des collecteurs dans le lit majeur des cours d'eau, ne peut que les stabiliser. Sur le plan des services culturels (sensibilisation à la nature, développement touristique spécialisé, valeur emblématique, valeur d'existence, connaissance scientifique...), le bilan reste globalement mitigé. Malgré diverses infrastructures, notamment des circuits didactiques, mises en place dans la foulée des programmes de restauration, ces espaces restaurés ne sont pas suffisamment partagés avec les acteurs locaux et les visiteurs externes pour en démontrer les multiples intérêts, développer les contacts avec la nature et partager l'ambiance particulière des hauts-plateaux. |
Le bilan financier
Ces six projets LIFE représentent un investissement important puisqu'ils atteignent 22 millions d'Euros. La moitié du financement vient de la Commission Européenne, l'autre partie est financée par la Wallonie (49%) et les différents partenaires ou co-financeurs privés (1%). Les budgets obtenus par les promoteurs de la DGARNE et des ONG naturalistes représentent des montants importants qui servent à acquérir des terrains ou compenser des droits (30 %), à financer les travaux de restauration (41 %) et à assurer l'engagement d'équipes de projets (29 %). Ils sont investis dans l'économie locale pour reconstruire un capital naturel et une infrastructure verte régulatrice qui peut servir de support à des activités de développement touristique et d'autres revenus indirects. Ils diminuent ainsi les coûts communs générés par l'inaction et le maintien de déséquilibres récurrents dans le fonctionnement des écosystèmes. |
Les surfaces restent encore limitées, mais les travaux réalisés montrent la direction à suivre. En effet, au moins 10 à 15.000 hectares de plantations résineuses devraient encore, à terme, être transformés en zones ouvertes (environ 1/3) et forêts feuillues naturelles (environ 2/3) sur ces sols très sensibles. Complémentairement, ils assurent d'autres services écosystémiques comme l'amélioration de la qualité de l'eau (acidité, sédiments), le stockage de carbone et l'amélioration de la capacité d'accueil du gibier.
Entre 2002 et 2012, les promoteurs wallons ont obtenu 15 projets LIFE pour un montant global de 61 millions d'Euros. Plus de la moitié représente un investissement européen obtenu après une sélection à l'échelle européenne rigoureuse et très compétitive.
Ces projets permettent à la Wallonie de remplir ses obligations européennes en matière de biodiversité, restaurent le fonctionnement des écosystèmes, assurent une large diversité de services écosystémiques et corrigent un certain nombre de problèmes récurrents coûteux. De nouveaux métiers se sont créés pour développer une infrastructure verte qu'il faut continuer de mettre en valeur notamment au niveau touristique et culturel.
Où visiter les travaux réalisés ?
La création de plus de 2.600 ha de nouveaux paysages sur les différents massifs offre un énorme potentiel de découverte de la nature. De nombreuses infrastructures ont été mises en place pour permettre à ceux qui souhaitent partager l'intimité des tourbières de le faire sans les perturber. Des circuits spécifiques, illustrés par des brochures explicatives ou des fiches didactiques, vous permettront d'en profiter au mieux. Pas besoin d'aller bien loin pour s'évader ! |