Plantations d'épicéas sur buttes, en vue du boisement d'une tourbière
(Rondeux, 1997 Des forêts et des hommes, Presses agronomiques de Gembloux, page 27)
L'origine des tourbières
Les tourbières résultent de l'accumulation de matières végétales dans un milieu gorgé en permanence d'eau stagnante ou peu mobile très pauvre en oxygène. Dans ces conditions asphyxiantes (anaérobiose), les processus microbiologiques dûs aux bactéries et champignons responsables de la décomposition et du recyclage de la matière organique sont fortement ralentis. En conséquence, dans les tourbières, les matières organiques mortes ne se minéralisent que très lentement et partiellement, et s'accumulent progressivement sous forme de tourbe, au rythme moyen de 0,2 à 1 mm de hauteur par an. | «Les tourbières - au pays des plantes carnivores», Th. Dalbavie & J.-Ph. Solleliet, Espaces et Recherches, Beaumont, 1994 |
Tourbière bombée de la Fagne wallonne |
En Wallonie, les dépôts de tourbe les plus anciens datent de la fin de la dernière glaciation (12.000 ans) et peuvent atteindre jusqu'à 8 mètres d'épaisseur. Ils y ont potentiellement couvert près de 15.000 ha. Ces tourbières se sont installées là où des conditions écologiques particulières (apports en eaux égaux ou supérieurs aux pertes, sols plus ou moins imperméables ou à drainage très faible, présence de dépressions, pentes faibles, cols aplanis, replats, pluviosité élevée combinée à des températures relativement basses) ont permis l'accumulation de tourbe. Elles apparaissent principalement sur la crête sud-ouest/nord-est du massif ardennais, dans les fonds de vallées, sur des pentes faibles ou sur des cols aplanis et se développent de façon optimale au-dessus de 550 à 600 m d'altitude en Haute Ardenne. |
L'action historique de l'homme
En Wallonie, depuis des siècles, tous les écosystèmes tourbeux ont fait l'objet d'une exploitation humaine, d'abord modérée puis beaucoup plus intensive à partir du milieu du XIXème siècle. Cette exploitation a conduit à leur forte régression. La valorisation de ces milieux hostiles à travers l'exploitation forestière, le drainage pour l'exploitation de la tourbe, le pâturage extensif, le fauchage, le stiernage ou la mise en culture extensive (essartage ou écobuage) a été indispensable pour tenter d'améliorer les conditions de vie très difficiles des populations locales. Elle a entraîné au fil des siècles une modification importante du paysage et l'apparition, puis l'extension sur de vastes superficies, de milieux secondaires dits semi-naturels (principalement des landes humides à tourbeuses, des bas-marais ou des tourbières de transition dans les zones de suintements et à la périphérie des massifs tourbeux), au détriment des forêts initiales. |
La mise en valeur intensive
À partir du milieu du 19ème siècle, les pratiques agropastorales traditionnelles ont été progressivement abandonnées et l'action de l'homme est devenue systématique et très intense. Le drainage des zones humides de Haute-Ardenne s'est généralisé pour tenter d'installer des plantations intensives d'épicéas. Réalisé d'abord à la main, il s'est ensuite mécanisé sur les sols les plus portants (argile blanche). Même les sols à forte épaisseur de tourbe (> 1 mètre d'épaisseur) couverts de tourbières hautes actives ont finalement été plantés, mais ces tentatives se sont révélées trop aléatoires. Les sols les plus secs ont aussi été plantés massivement en résineux ou ont subi des amendements importants pour développer un pâturage intensif. |
Ces activités humaines intensives relativement récentes ont détruit sur de vastes zones des milieux naturels d'une valeur patrimoniale exceptionnelle. On estime qu'il reste actuellement de l'ordre de 30 % des 15.000 hectares de tourbières hautes, landes humides, tourbières boisées, bas-marais... qui occupaient ces hauts-plateaux, mais qu'elles sont souvent en très mauvais état de conservation. En Wallonie, il existait probablement plus de 150.000 hectares de zones humides au sens large. Il en reste moins de 40.000 hectares. |
Si les tentatives de valorisation sylvicole des milieux humides les plus marginaux entraînent des pertes importantes de biodiversité d'un grand intérêt patrimonial, elles se révèlent aussi être peu rentables, très risquées et même souvent économiquement déficitaires. Ces spéculations perturbent également les services écosystémiques réalisés par les processus écologiques naturels en générant des problèmes de stockage du carbone, de gestion de la ressource hydrique, de diminution de la capacité d'accueil pour le gibier et de perte d'attrait touristique des paysages ardennais, pour ne citer que les plus significatifs. Le bilan économique, écologique et social global de l'exploitation sylvicole de ces zones marginales est loin d'être positif. |