La restauration des milieux tourbeux impose différentes étapes et une large diversité de types de travaux. L'objectif est la restauration de biotopes ouverts dégradés ou de plantations résineuses qui occupent des conditions écologiques incompatibles et entraînent de nombreuses externalités négatives. En dehors des zones déjà protégées, la première opération est d'obtenir un niveau de protection significatif à travers la maîtrise foncière ou des engagements à long terme dans les zones de travail. La seconde étape dépendra du type de milieux à restaurer :
La troisième étape consiste à restaurer le régime hydrique pour relancer rapidement le fonctionnement naturel des tourbières, favoriser les espèces typiques et limiter l'extension des molinies. |
Dans une partie des zones périphériques plus sèches, des zones sont restaurées pour permettre le fauchage, notamment dans les zones colonisées par la fougère aigle, ou le pâturage.
Les zones forestières ne sont pas oubliées et des actions de régénération et de diversification feuillue sont aussi lancées car l'objectif global est aussi d'obtenir un équilibre de zones ouvertes et de zones forestières.
Restaurer ou ne pas restaurer ?
La lecture des livres de Jean-Claude Génot (par exemple " La nature malade de la gestion ", Sang de la Terre, 2010) nous interroge nécessairement sur le sens des actions de restauration. Si on peut partager une partie des arguments à l'encontre de "la gestionite aiguë" de certains gestionnaires désireux d'une nature trop soumise ou trop contrôlée, visant trop hâtivement un état idéal, ne laissant pas s'exprimer les processus plus ou moins naturels, même dans des situations totalement dégradées par l'activité humaine, on reste par contre dubitatif sur l'extrême inverse qui laisserait simplement "faire la nature" en lui réservant des espaces, même très perturbés, sans y intervenir. Les contraintes budgétaires sont rapidement présentées pour justifier un refus d'intervention, alors que le réalisme économique manque souvent lorsqu'il s'agit de tenter de mettre en valeur des terrains marginaux ou d'y abandonner les spéculations alternatives. Qui a finalement peur de la nature ?
Vu les surfaces très limitées des écosystèmes encore en bon état de conservation, l'érosion des populations de nombreuses espèces (typiques, emblématiques, patrimoniales ou non), les grandes surfaces dégradées par le drainage et les plantations, l'accumulation de matières organiques très inflammables, quel risque prend-on finalement en intervenant sur une partie du territoire de manière à restaurer des conditions écologiques dans un état plus originel ? Il est envisageable d'ensuite laisser une grande majorité des surfaces effectivement à une libre évolution, à n'intervenir que dans certaines zones avec des objectifs précis, en "valorisant" une partie de ce "patrimoine" pour répondre aux attentes d'un public averti ou pour partager avec un public plus large la même émotion que celle de cet auteur devant des grands espaces "sauvages". Une première étape pour un réensauvagement (Geogre Monbiot) progressif et accepté d'une partie de l'environnement.
Sans restauration des conditions écologiques de base, de nombreuses espèces originales disparaîtraient définitivement (l'Ardenne est une île en Europe occidentale) et les processus écologiques utiles ne seraient pas opérationnels. Il faut néanmoins rester conscient des limites de l'action, qui ne doit pas être dictée par des attentes existentielles, et rester prêt à en revoir la finalité si les processus biologiques l'imposent. A ces conditions, l'action génère une large diversité de bénéfices individuels et collectifs. La restauration permet de recréer du lien avec la biodiversité et donner du sens à la place laissée à la nature dans les paysages très transformés. C'est une étape d'un long processus de prise de conscience, d'apprentissage et de découvertes.
Déboisement des peuplements résineux hors-stations
La coupe des épicéas s'est faite par la vente du bois sur pied aux marchands, sur base d'un cahier des charges spécifiant les conditions d'exploitation. Pour obtenir l'adhésion de l'abandon de la spéculation sylvicole lorsque les peuplements avaient encore une valeur économique, une indemnité correspondant à la différence entre le prix obtenu pour la coupe et la valeur d'avenir espérée (tableau officiel) a été proposée aux propriétaires. |
Mise à blanc sur sols tourbeux au Plateau des Tailles
Broyage de la régénération
Lorsque les peuplements (ou les semis naturels menés en peuplement) sont dans un mauvais état et n'ont pas de valeur marchande, les épicéas sont alors broyés sur place ou valorisés en copeaux pour plaquettes. Actuellement, les cinq projets ont permis le déboisement d'environ 1.745 hectares de peuplement avec et sans valeur économique. |
Coupe d'épicéas isolés
Parallèlement à ces déboisements importants, les milieux ouverts ou forestiers feuillus font eux aussi l'objet de coupes de résineux isolés. Lorsqu'ils sont nombreux, ces épicéas plus ou moins isolés sont en effet des sources importantes de régénérations naturelles, surtout lorsque la végétation est perturbée. Ces arbres sont soit abattus, ébranchés, billonnés et laissés sur place, soit annelés et constituent des perchoirs et refuges pour de nombreux oiseaux, insectes et champignons. À ce jour, environ 2.179 hectares ont fait l'objet de coupe d'arbres isolés sur l'ensemble des hauts plateaux. |
Restauration du régime hydrique
Suite au creusement des drains, les tourbières s'assèchent et ne parviennent plus à accumuler de la tourbe. Elles sont envahies par la molinie qui profite de la variabilité du régime hydrique pour se développer. Pour retrouver les conditions d'humidité adéquates, il est nécessaire de combler systématiquement ces drains et de recréer des zones ennoyées. Des digues, mares ou bassins de décapage sont réalisés en certains endroits pour retenir l'eau dans des dépressions sur une faible hauteur. Ces nouveaux espaces sont colonisés peu à peu par les sphaignes et autres plantes des marais tourbeux. Une première étape vers les tourbières fonctionnelles et actives... Ces travaux sont réalisés par une pelleteuse sur chenilles circulant exclusivement sur des plateaux de bois sur les sols les moins portants. |
Localiser la photo (Fagne de la Goutte, Plateau des Taille) |
Zoom (JPG-607 ko) (Saint-Hubert- Basseille) | Durant les cinq projets, au moins 650 kilomètres de drains ont été bouchés via des bouchons d'argile ou de tourbe. Ces bouchons ont été placés à l'aide de la pelleteuse en prélevant la matière (argile ou tourbe) au niveau du drain. En général, un bouchon est mis en place tous les 30 à 70 m, en fonction de la pente et de l'activité du drain. Comme la matière est prise sur place, chaque bouchon génère une mardelle qui devient un habitat intéressant pour de nombreuses espèces. Près de 10.000 mardelles ont ainsi été créées sur les différents plateaux. |
Un premier type de digue en palplanches a été testé sur deux projets (Saint-Hubert et Plateau des Tailles). Cette technique, fréquente dans les sites restaurés en Angleterre, a été utilisée lorsque la couche tourbeuse était trop épaisse, rendant l'argile sous-jacente inaccessible. Dès lors, la digue a été construite à l'aide de planches en PVC, spécialement conçues pour s'emboiter les unes dans les autres. Ces planches sont alors enfoncées dans la tourbe jusque dans la couche d'argile imperméable. Ce type de digue, qui représente une minorité, a par la suite été abandonné vu son coût important, les grandes difficultés de mise en œuvre et divers problèmes d'étanchéité et de stabilité. |
Le projet Plateau des Tailles a ensuite privilégié une technique simple définie avec la collaboration des entrepreneurs. Là où l'argile est disponible, la pelleteuse prélève la matière sur place et érige une barrière argileuse étanche. Il s'agit d'un travail minutieux réalisé à l'aide d'un niveau laser et précédé de relevés topographiques précis. |
Par contre, là où la couche d'argile est située à trop grande profondeur, les digues sont réalisées avec la matière disponible : la tourbe. Ces digues étant plus fragiles les premières années, la technique du renforcement avec un géotextile a pu être testée avec succès dans le projet Hautes-Fagnes. Une fois la végétation installée, ces digues sont tout à fait renforcées. Environ 40 kilomètres de digues ont été érigés via différentes techniques de mise en œuvre. |
Les exutoires peuvent également être de deux types : naturel (l'écoulement se fait par un déversoir végétalisé à l'extrémité de la digue) ou artificiel (un tuyau coudé placé au travers de la digue permet un contrôle de l'écoulement et du niveau d'eau).
Saint-Hubert | Croix-Scaille | Plateau des Tailles |
Etrépage
Cette technique permet non seulement de restaurer des secteurs de tourbières hautes dégradées, mais également des landes humides à tourbeuses et des landes sèches. Il s'agit, à l'aide d'une pelleteuse, de racler la végétation et la couche superficielle du sol (environ 10 cm de profondeur), ce qui permet à la banque de graines présente dans le sol de s'exprimer. Dans certaines landes sèches ardennaises, l'étrépage est la seule technique de restauration qui puisse être mise ne œuvre en raison de la présence de blocs de quartzite affleurants. Actuellement, plus de 105 hectares de landes dégradées ont été étrépés. |
Fraisage de restauration
Cette technique constitue une alternative à l'étrépage sur sols tourbeux et dans les landes tourbeuses. Elle est réalisée à l'aide d'un tracteur à roues jumelées muni d'un broyeur, le broyat étant ensuite raclé et andainé à l'aide d'un engin chenillé. Cette technique a l'avantage d'être nettement plus rapide et moins chère que l'étrépage. Elle permet donc de traiter de plus grandes surfaces. Elle a aussi l'avantage de décaper le sol moins profondément que l'étrépage (environ 5 cm) et de mieux préserver la banque de graines du sol. Par contre, la molinie n'est pas totalement éliminée et recolonise plus rapidement les zones traitées que dans les zones étrépées. |
Elle favorise toutefois la création d'une végétation rase caractéristique des landes et bas-marais tourbeux (laîches, linaigrettes, éricacées et sphaignes). Dans les tourbières dégradées, les résultats sont meilleurs en périphérie de zones encore intactes qu'en zones complètement dégradées. Dans les landes, les premières années, les résultats sont encore plus rapides qu'avec l'étrépage car la banque de graine est mieux préservée. Avec le temps, toutefois, le fraisage semble donner des végétations plus homogènes et moins diversifiées que l'étrépage (un décapage plus profond et moins régulier crée des dépressions plus humides ou inondées qui sont colonisées par des espèces adaptées). |
(JPG-472 ko) | La technique du fraisage a également été mise en œuvre dans le but de reconstituer des milieux prairiaux fauchables. Le fraisage de la végétation et des premiers centimètres de sol permet un mélange de la matière et remet en lumière la banque de graines encore présente dans le sol. Dans le cas où la banque de graines est inexistante ou altérée, un coup de pouce est donné en épandant du foin récolté sur des parcelles en bon état de conservation. Actuellement, environ 283 hectares ont fait l'objet d'un fraisage de restauration. (Voir la zone de droite sur une carte) |
Régénération de la forêt feuillue
La biodiversité des forêts feuillues indigènes (boulaies, aulnaies, chênaies, hêtraies) est plus importante que dans une plantation monotone d'épicéas. Le sizerin flammé, la gélinotte des bois ou encore le chat sauvage sont des espèces rares qui sont favorisées par le développement de ces milieux. Ces forêts naturelles assurent une meilleure transition entre les milieux ouverts et les plantations d'épicéas. À cette fin, près de 247 hectares ont été clôturés temporairement afin de protéger les jeunes pousses de la dent des cervidés. |
Complémentairement à la pose de clôtures, les projets de Saint-Hubert, du plateau des Tailles, de la Lomme et des Hautes Fagnes ont également semé, planté et bouturé des bouleaux, sorbiers, saules, peupliers, alisiers, charmes, frênes, bourdaines, érables, noisetiers, hêtres et chênes par milliers. |