G. BOTTIN (2008): L'intérêt biologique de la réserve naturelle du Marais de Grendel est très grand et repose sur une combinaison de caractéristiques qui touchent aux divers aspects de la diversité biologique. Une description complète de la réserve naturelle est donnée ci-dessous, faisant l'état des connaissances jusqu'en 2008.
La flore et la végétation du site ont été décrites par OVERAL (1997). De nouveaux relevés et une cartographie complète des unités de végétation de la réserve naturelle ont été réalisés au cours de l'année 2008, ce qui a permis d'évaluer l'évolution au cours des trois dernières décennies.
Le site est majoritairement occupé par des prairies humides. On trouve dans la réserve différents types de formations herbacées typiques des sols humides et marécageux.
L'habitat le plus abondant dans la réserve naturelle est la mégaphorbiaie à Filipendula ulmaria. Cette formation s'installe sur les sols humides engorgés pendant le repos de végétation, brièvement et rarement submergés lors des crues. C'est donc une formation typique des berges et sols alluviaux. Son expansion dans le marais de Grendel s'explique par l'arrêt du fauchage (depuis 1945) combiné à une eutrophisation progressive. Ces facteurs profitent à la reine-des-prés au détriment des espèces prairiales. La baldingère (Phalaris arundinacea) forme fréquemment des peuplements étendus au sein des mégaphorbiaies de la réserve naturelle. Les autres espèces rencontrées dans ces habitats sont : Persicaria bistorta, Iris pseudacorus, Angelica sylvestris, Epilobium hirsutum, Caltha palustris, Valeriana repens, Cirsium oleraceum, Cardamine pratensis, Lysimachia vulgaris, Equisetum fluviatile, Equisetum palustre, Scutellaria galericulata, … L'eau eutrophisée en provenance du versant nord cultivé, évacuée anciennement par les petits drains et fossés, s'épand actuellement dans le marais, renforçant l'eutrophisation et se substituant à l'eau météorique, moins enrichie en éléments nutritifs, qui intervenait en quantité importante pour alimenter le substrat tourbeux ou paratourbeux des molinaies. Avec l'eutrophisation croissante, des espèces nitrophiles prennent de plus en plus d'importance au sein de la mégaphorbiaie : Urtica dioica, Galium aparine, …
Dans la partie occidentale du marais, la mégaphorbiaie est en mélange avec une magnocariçaie à Carex acutiformis. Cette dernière espèce était apparemment absente en 1975 dans les premiers relevés de B. OVERAL. Apparue dans les relevés réalisés en 1996, elle semble avoir pris de l'ampleur dans cette zone, semblant indiquer un stade plus mouilleux dans la mégaphorbiaie. Les espèces prairiales qui témoignaient autrefois de la fauche du marais ont généralement disparu des mégaphorbiaies ou y sont extrêmement rares. On trouve localement au sein de la mégaphorbiaie des groupements à Scirpus sylvaticus, indiquant que le marais fauché était parcouru, du moins à certains endroits et pendant les périodes sèches, par le bétail qui piétinait un sol humide, en le tassant.
L'intérêt principal du marais de Grendel réside dans les vestiges de molinaie alcaline qu'on y rencontre. La molinaie alcaline est un groupement issu de l'activité humaine (drainage et fauchage annuel). Cette formation se caractérise par une très importante richesse spécifique, incluant de nombreuses espèces rares. Or, cette formation végétale subit un très important déclin, du fait de l'abandon et/ou des modifications des techniques agricoles. Le marais de Grendel ne fait pas exception : de 1975 à aujourd'hui, la surface occupée par la molinaie alcaline a très fortement diminué et on en rencontre plus qu'à un seul endroit de la réserve naturelle, à l'endroit le plus fréquemment fauché. On trouve des situations intermédiaires entre la molinaie alcaline et la mégaphorbiaie, indiquant l'évolution subie par cette formation. Les espèces de mégaphorbiaies (Epilobium hirsutum, Persicaria bistorta, Eupatorium cannabinum, Cirsium palustre, Filipendula ulmaria, …) y prennent de plus en plus d'ampleur.
Par ailleurs, les reliques de molinaie alcaline au sein du marais sont très appauvries par rapport à la situation renseignée en 1975. On y trouve encore les espèces suivantes : Carex disticha, Carex nigra, Carex panicea, Dactylorhiza majalis, Cirsium oleraceum, Juncus conglomeratus, Hypericum maculatum, Ranunculus serpens subsp. nemorosus, …
Mais de nombreuses espèces caractéristiques du Molinion: Epipactis palustris, Parnassia palustris, Triglochin palustris, Carex pulicaris, Carex lepidocarpa, Carex echinata, Selinum carvifolia, Stachys officinalis, Succisa pratensis, Crepis paludosa, Valeriana dioica, Potentilla erecta, Dactylorhiza maculata, n'ont plus été observées depuis longtemps au marais de Grendel.
Le rare Salix repens est une autre espèce du Molinion abondamment représentée en 1975, mais actuellement rare. Scorzonera humilis n'a plus été observée dans le marais, mais une petite population subsiste dans la prairie mésophile en bordure méridionale (hors réserve). Les espèces prairiales favorisées par le fauchage disparaissent/régressent également.
Outre l'abandon de la fauche, on constate une modification hydrologique du site : anciennement, le substrat était ressuyé en été, tandis que maintenant il reste gorgé d'eau. Cela entraîne l'apparition de certaines espèces comme Carex rostrata. Le drainage traditionnel, par petits fossés peu profonds nettoyés manuellement, permettait le fauchage du marais et assurait le maintien d'une molinaie alcaline floristiquement très riche. L'abandon de cette pratique a eu pour conséquence un relèvement du niveau de l'eau dans le marais, spécialement dans la partie centrale en creux. C'est sur ces sols gorgés d'eau durant l'été que sont apparus des bas-marais à Carex rostrata et Comarum palustre, au dépens de la molinaie alcaline qui demande un sol ressuyé durant la période de végétation. Les espèces typiques de ce type de formation sont : Juncus acutiflorus, Carex nigra, Carex rostrata, Achillea ptarmica, Galium uliginosum, Comarum palustre, Epilobium palustre, Eriophorum angustifolium, Viola palustris, Agrostis canina… On trouve ce type de bas-marais également dans un creux entouré de saules, relativement isolé de la dépression voisine et des apports d'eau eutrophisée en provenance du bassin versant. On constate néanmoins que ces bas-marais ont tendance à évoluer vers la mégaphorbiaie (présence de plus en plus importante de Phalaris arundinacea, Filipendula ulmaria, Lysimachia vulgaris, Eupatorium cannabinum, Valeriana repens, Cirsium oleraceum, Scirpus sylvaticus, Iris pseudacorus, Epilobium hirsutum, …).
Cette zone comporte également de nombreux rejets de saules.
On y trouve également une roselière à Phragmites australis : il s'agit d'une roselière secondaire de type sèche, trouvant également son origine dans l'arrêt du fauchage annuel du marais, combiné à l'eutrophisation progressive du milieu. La roselière occupe la zone d'affleurement des sources. Le sol y est constamment gorgé d'eau, mais jamais inondé. La roselière s'est fortement développée ces 30 dernières années. La comparaison de son étendue entre 1996 et 2008 montre que celle-ci s'est encore étendue vers le sud, au détriment de la prairie du Molinion et des bas-marais. Très peu d'espèces accompagnent le phragmite dans le cortège de la roselière. On peut néanmoins citer : Calystegia sepium, Urtica dioica, Solanum dulcamara, Epilobium angustifolium, …
On trouve encore dans le périmètre de la réserve des petits morceaux de prairie pâturée intensive, ainsi qu'une incursion de pâture humide hébergeant encore quelques espèces hygrophiles (Persicaria bistorta, Scirpus sylvaticus, Cirsium palustre, Lotus pedunculatus, Filipendula ulmaria, Mentha sp., Myosotis nemorosa, etc.), mais plutôt surpâturée.
On trouve au sein du marais de nombreux buissons de saules sur sol marécageux (Salix aurita / cinerea), des bouquets d'aulnes (Alnus glutinosa) et de bouleaux (Betula pendula). Dans la partie orientale du marais, on trouve également quelques chênes, aubépines et sorbiers isolés. Cette partie orientale du marais comporte également quelques beaux arbres morts, debout ou au sol. Les bouquets de saule situés dans la partie nord de la réserve sont situés sur des terrains plus secs et sont principalement constitués de Salix viminalis, en compagnie d'autres espèces comme la viorne obier ou le frêne.
Au nord du site, on trouve également une haie arborée, composée de frênes accompagnés notamment de prunellier.
Un réseau de fossés parcourt le site. Il subsiste également au sein de la réserve un petit trou d'eau. C'est là qu'en 1975, on trouvait notamment Menyanthes trifoliata. Sur ses berges, à cette époque, on trouvait également Oenanthe aquatica. Ces deux espèces avaient déjà disparu du trou d'eau en 1996 et n'ont plus été observées dans la réserve en 2008. A la place, on y trouve Typha latifolia (déjà en 1996) et la petite mare est aujourd'hui complètement recouverte de Lemna minor.
Le Marais de Grendel, en tant que mosaïque de milieux humides et extensifs isolé au sein d'un paysage voué principalement à l'agriculture intensive, héberge des espèces nicheuses d'intérêt. On peut citer la rousserolle effarvatte (nicheuse régulière dans la petite roselière - notée en 2007), rousserolle verderolle (notée en 2008), fauvette grisette (notée en 2008), loriot d'Europe (chanteur dans la réserve en été 1994), pie-grièche écorcheur (nicheuse dans les années 90, non revue récemment), bruant des
roseaux (noté en 2008).
D'autres espèces profitent également de ce site exceptionnel pour s'alimenter ou trouver refuge : cigogne noire, milan royal, milan noir, bondrée apivore, hibou moyen-duc, chouette effraie, faucon hobereau, …
Le Marais est également un important relais migratoire pour un grand nombre d'espèces : cigogne blanche, busard cendré, busard saint-Martin, busard des roseaux, râle d'eau (noté comme nicheur dans un courrier de 1989 !), bécassine des marais, bécassine sourde, chevalier culblanc, chevalier arlequin, chevalier gambette, tarier des prés, tarier pâtre, pie-grièche grise, pie-grièche à tête rousse, …
Parmi l'herpétofaune, la grenouille rousse (Rana temporaria) est l'espèce la mieux représentée. Les fossés de drainage et ornières servent de frayère. Un individu de grenouille verte (Rana kl. esculenta) a été également observé en 2008 dans un fossé de la réserve naturelle. En 1999, des prospections ont permis de noter la présence du triton alpestre (Triturus alpestris) et du crapaud commun (Bufo bufo). Le triton alpestre a encore été observé en 2008 dans le trou d'eau de la réserve.
Le lézard vivipare (Zootoca vivipara) est également présent (observé en 2008).
Mais le fait herpétologique le plus marquant du marais de Grendel est qu'il abritait jadis la rainette verte (Hyla arborea), espèce quasiment disparue de Wallonie. Nous n'avons cependant pas d'indication de la dernière observation de l'espèce. L'espèce est par contre toujours présente au Grand-Duché.
Les données sur les invertébrés sont très partielles et des inventaires plus complets devraient être réalisés afin d'affiner les connaissances de la faune de la réserve naturelle. Des prospections ont été menées en 2008 dans les 4 groupes suivants : lépidoptères rhopalocères, odonates, coccinelles et orthoptères.
On a rencontré en 2008, 16 espèces de lépidoptères rhopalocères dans la réserve. Parmi celles-ci, deux méritent une mention spéciale:
- Lycaena helle: espèce vulnérable, visée par le décret Natura 2000 et dont la chenille se nourrit aux dépens de la rénouée bistorte. Typique des prairies humides présentant des lisières et de petites zones boisées, l'espèce fut observée dans les années 1990 dans le marais de Grendel. Un mâle fut observé en bordure sud de la réserve naturelle au printemps 2008.
- Brenthis ino: typique des mégaphorbiaies - sa chenille se développe sur la reine-des-prés - ce papillon assez répandu en Ardenne et en Lorraine est observé un peu partout dans les milieux appropriés de la réserve naturelle.
En 2009, une autre espèce intéressante a été observée dans la réserve (obs. P. VERTE): Melitaea diamina, un papillon assez localisé et peu commun, lié aux zones humides riches en valérianes, les plantes nourricières de la chenille.
Très peu d'espèces d'odonates ont été observées en 2008 dans le marais de Grendel : seules 2 espèces courantes ont été observées: Pyrrhosoma nymphula et Calopteryx virgo. En 1994, 12 espèces de libellules étaient recensées dans un domaine plus large dépassant la réserve naturelle. Les observations étaient principalement réalisées le long des rivières Attert et Nothomberbach. Les fossés et le petit point d'eau du marais de Grendel semblent présenter moins d'intérêt.
Quatre espèces de coccinelles ont été observées dans la réserve naturelle en 2008, parmi lesquelles 3 espèces ubiquistes et la coccinelle asiatique (Harmonia axyridis), espèce exotique envahissante.
Enfin pour les orthoptères, 5 espèces ont été notées en 2008 dans la réserve naturelle. Parmi celles-ci, on peut souligner la présence des 2 espèces suivantes, typiquement liées aux milieux humides :
- Conocephalis dorsalis: le conocéphale des roseaux fréquente les biotopes humides à végétation haute de joncs, carex, graminées et hautes herbes. Les sites les plus typiques sont les prairies humides abandonnées, les prairies à joncs, les bords des prairies humides, des fossés et des ruisseaux. Assez rare en Wallonie - mais plus fréquente en Lorraine - cette espèce trouve une belle population à Grendel, principalement au niveau du vestige de molinaie.
- Stethophyma grossum: l'habitat préférentiel du criquet ensanglanté est constitué par les prairies de fauche humides, les cariçaies, les prairies humides (souvent avec jonc épars). Assez fréquente dans les milieux humides d'Ardenne et de Lorraine, elle présente une population abondante au marais de Grendel.