Le site décrit ici s'étend sur plusieurs kilomètres et comporte la partie supérieure de la vallée de l'Aisne, depuis le pont de Beaufays (en aval de la Fagne du Pouhon) jusqu'au Moulin de Crahay, ainsi que le bassin de son affluent le ruisseau de la Fagne de la Goutte. Cet ensemble est d'une grande richesse botanique avec plus de 200 espèces de plantes vasculaires dénombrées jusqu'à présent, dont nombre d'éléments à haute valeur patrimoniale.
Initialement, le périmètre était limité au site appelé "Moulin de Crahay" (env. 8 ha) comprenant le tronçon de la vallée de l'Aisne sur environ 800 m en amont de ce moulin ainsi que le tronçon le plus aval du ruisseau Fays de la Folie, avant sa confluence avec l'Aisne au Moulin d'Odeigne. Cet ancien périmètre "Moulin de Crahay" se compose de deux parties distinctes (d'après des observations remontant aux années 1990).
La première partie est une prairie humide abandonnée qui a évolué vers un bas-marais tourbeux et d'une jonçaie à Juncus effusus. On note une grande abondance de jeunes aulnes glutineux (Alnus glutinosa), ce qui suppose une évolution à court terme du site vers une formation de type forêt alluviale. Le sol est fréquemment inondé, favorisant la présence de nombreuses hygrophiles. Une nouvelle espèce de Delphacidae pour la Belgique a été découverte sur le site en juin 1997, il s'agit de Kelisia ribauti, un taxon lié aux laiches acidophiles de petites tailles (tels que Carex echinata) dans des stations plutôt d'altitude.
La seconde partie est située sur un bourrelet alluvial occupé par une prairie humide à bistorte (Persicaria bistorta) et à canche cespiteuse (Deschampsia cespitosa), dans laquelle apparaissent également la reine des prés (Filipendula ulmaria), la lysimaque vulgaire (Lysimachia vulgaris), les ronces (Rubus sp.), la houlque laineuse (Holcus lanatus), le scirpe des bois (Scirpus sylvaticus), etc. La bistorte y est cependant en diminution et ne subsiste plus qu'en des plages relativement réduites. C'est dans cette partie du site qu'une importante population de nacré de la bistorte (Boloria eunomia) et de cuivré de la bistorte (Lycaena helle) est connue depuis au moins les années 1990. Ce type de prairie étant devenu très rare dans la vallée de l'Aisne, une connexion avec les populations de la vallée de la Lienne ou du Martin-Moulin n'est pas à exclure.
Un relevé floristique plus récent (17/04/2013 - P. Hauteclair) effectué dans la première partie indique que les aulnes se sont fortement développés et constitue à présent une véritable aulnaie alluviale ponctuée de clairières marécageuses à paratourbeuse. Ce relevé comporte notamment le pétasite officinal (Petasites hybridus), l'ortie dioïque (Urtica dioica), l'angélique sauvage (Angelica sylvestris), le séneçon de Fuchs (Senecio ovatus), la raiponce en épi (Phyteuma spicatum), le cirse des marais (Cirsium palustre), l'anémone sylvie (Anemone nemorosa), la reine des prés (Filipendula ulmaria), le populage (Caltha palustris), la dorine à feuilles alternes (Chrysosplenium alternifolium), la dorine à feuilles opposées (Chrysosplenium oppositifolium), le gaillet des marais (Galium palustre), le blechnum en épi (Blechnum spicant), la cardamine amère (Cardamine amara), l'épilobe hirsute (Epilobium hirsutum), la bistorte (Persicaria bistorta), la montie des fontaines (Montia fontana), etc.
Les abords de la route du Moulin d'Odeigne sont également intéressants du point de vue botanique, avec présence d'un mélange d'espèces de prairies humides acidophiles comme la laîche vert jaunâtre (Carex demissa), la laîche étoilée (Carex echinata), la renoncule flammette (Ranunculus flammula), le crépis des marais (Crepis paludosa), le lotier des fanges (Lotus pedunculatus), la valériane dioïque (Valeriana dioica), de landes sèches dont la callune (Calluna vulgaris), la tormentille (Potentilla erecta), la laîche à pilules (Carex pilulifera), la canche flexueuse (Deschampsia flexuosa), d'espèces des nardaies comme la gesse des montagnes (Lathyrus linifolius), la bétoine officinale (Stachys officinalis), la succise des prés (Succisa pratensis), ou encore de forêts acidoclines dont la germandrée scorodoine (Teucrium scorodonia), le mélampyre des prés (Melampyrum pratense), la houlque molle (Holcus mollis), le rosier des champs (Rosa arvensis), le fraisier des bois (Fragaria vesca), la potentille faux-fraisier (Potentilla sterilis), le millepertuis élégant (Hypericum pulchrum), la violette de Rivin (Viola riviniana), etc.
Les parcelles RND ("Bena Bwès") situées à la confluence de l'Aisne et du ruisseau de la Fagne de la Goutte ont été inventoriées à plusieurs reprises depuis 2012. On y a noté (d'après les observations de F. Wyzen, R. Cors et M. Philippot):
- des herbiers de potamot à feuilles de patience (Potamogeton polygonifolius) dans l'eau courante, acide et oligotrophe;
- des éléments de jonçaies des prés paratourbeux acidophiles, sur les berges plus ou moins dégagées, avec la petite scutellaire (Scutellaria minor), la wahlenbergie (Wahlenbergia hederacea), le jonc à tépales aigus (Juncus acutiflorus), la lysimaque nummulaire (Lysimachia nummularia), la renoncule flammette (Ranunculus flammula), ...
- des fragments de landes et de nardaies à callune (Calluna vulgaris), laîche à pilules (Carex pilulifera), succise des prés (Succisa pratensis), polygala à feuilles de serpolet (Polygala serpyllifolia), véronique petit-chêne (Veronica chamaedrys), campanule à feuilles rondes (Campanula rotundifolia), valériane dioïque (Valeriana dioica), etc.
- des espèces prairiales dont l'alchémille vert-jaunâtre (Alchemilla xanthochlora), la cardamine des prés (Cardamine pratensis),
- des fourrés sur sols pauvres à genêt à balais (Cytisus scoparius), bourdaine (Frangula alnus), sorbier des oiseleurs (Sorbus aucuparia), ...
- diverses espèces forestières: anémone sylvie (Anemone nemorosa), violette de Rivin (Viola riviniana), sceau de salomon commun (Polygonatum multiflorum), houx (Ilex aquifolium), solidage verge d'or (Solidago virgaurea), blechnum en épi (Blechnum spicant), mélampyre des prés (Melampyrum pratense), stellaire holostée (Stellaria holostea), balsamine des bois (Impatiens noli-tangere), muguet (Convallaria majalis), sceau de Salomon verticillé (Polygonatum verticillatum), épiaire des bois (Stachys sylvatica), scrofulaire noueuse (Scrophularia nodosa), etc.
Plus en amont, la vallée de l'Aisne est parsemée de plusieurs autres parcelles RND jusqu'au pont de Beaufays. Ce secteur situé dans le prolongement de la Fagne du Pouhon comporte des sols à caractère davantage tourbeux comme l'indique la présence de nombreuses sphaignes (Sphagnum fimbriatum, Sphagnum quinquefarium, Sphagnum girgensohnii, Sphagnum subnitens, ...) sur les berges du cours d'eau et de plantes comme la bruyère quaternée (Erica tetralix), la violette des marais (Viola palustris), la laîche étoilée (Carex echinata), ...
Une très belle forêt alluviale s'étend en rive droite de l'Aisne, au lieu-dit Nihé, 300 m en aval du pont de Beaufays. Son intérêt bryologique a été documenté par un relevé datant du 31/05/2015 (obs. D. Parkinson), avec un cortège riche d'une trentaine d'espèces, dont 8 sphaignes: Sphagnum subnitens, Sphagnum palustre, Sphagnum fimbriatum, Sphagnum fallax, Sphagnum flexuosum, Sphagnum girgensohnii, Sphagnum auriculatum, Sphagnum inundatum, mais aussi Lophocolea bidentata, Tritomaria exsectiformis, Trichocolea tomentella, Calypogeia fissa, Riccardia latifrons, Calypogeia muelleriana, Lepidozia reptans, Scapania nemorea, Marsupella emarginata, Scapania undulata, Lophozia ventricosa, Calypogeia neesiana, Plagiochila porelloides, Plagiochila asplenioides, Diplophyllum albicans, Pellia epiphylla, Cephalozia bicuspidata, Riccardia multifida, Hookeria lucens, ainsi que des épiphytes comme Metzgeria furcata, Nowellia curvifolia, Lophocolea heterophylla, Radula complanata, Frullania dilatata, ...
Au niveau d'une petite carrière située dans le versant droit de la vallée, en aval de cette forêt, on a en outre observé quelques autres bryophytes intéressants (Diplophyllum obtusifolium, Jamesoniella autumnalis, Lophozia bicrenata, ...), de même qu'un arbuste peu commun, l'alouchier (Sorbus aria).
Dans les pessières, en fonction de l'âge du peuplement et du type de sol, on trouve au sol une strate muscinale plus ou moins développée et une flore vasculaire généralement appauvrie. Les coupes sont suivies par une colonisation d'espèces héliophiles et majoritairement silicicoles: digitale pourpre (Digitalis purpurea), germandrée scorodoine (Teucrium scorodonia), séneçon des bois (Senecio sylvaticus), séneçon de Fuchs (Senecio ovatus), agrostis capillaire (Agrostis capillaris), noisetier (Corylus avellana), bourdaine (Frangula alnus), fougère aigle (Pteridium aquilinum), genêt à balais (Cytisus scoparius), gaillet du Harz (Galium saxatile), épilobe en épi (Epilobium angustifolium) etc.
Les chemins qui traversent les pessières, en particulier là où des coupes ont eu lieu, sont souvent bordés par une flore de prairie mais aussi par de petites landes à callune (Calluna vulgaris) et myrtille (Vaccinium myrtillus) parmi lesquelles se dissimulent parfois le lycopode en massue (Lycopodium clavatum), comme le long du chemin du Trésor venant de Freyneux, non loin de la confluence du ruisseau de la Fagne de la Goutte.
Encore plus rare, le lycopode sélagine (Huperzia selago) a été observé en 1989 dans une vieille pessière près du Pont de Beaufays. Bien que non retrouvé depuis, il n'est pas exclu que cette espèce discrète et très menacée puisse se subsister dans le secteur.
Au lieu-dit Hotbras, un petit affluent de rive gauche du ruisseau de la Fagne de la Goutte héberge entre autres le jonc à tépales aigus (Juncus acutiflorus), la prêle des bois (Equisetum sylvaticum), la laiche à bec (Carex rostrata), la laiche lisse (Carex laevigata), la fougère des montagnes (Oreopteris limbosperma), la trientale (Trientalis europaea), la petite scutellaire (Scutellaria minor), la wahlenbergie (Wahlenbergia hederacea), le gaillet des marais (Galium palustre) et, dans l'eau, le potamot à feuilles de patience (Potamogeton polygonifolius).
La partie plus amont du ruisseau de la Fagne de la Goutte, également fortement enrésinée dans le passé, a fait l'objet de travaux de restauration de landes dans le cadre du projet LIFE Plateau des Tailles. Une clairière de quelques hectares y a été créée par élimination des épicéas et plusieurs petits plans d'eau y ont été creusés. On y observe notamment une petite station de lycopode en massue (Lycopodium clavatum) en lisière de la coupe (obs. D. Parkinson, 2009).
Plus au sud encore, au niveau de la route dite "du Tracé", s'étend un lambeau de boulaie paratourbeuse abritant la trientale (Trientalis europaea), le saule à oreillettes (Salix aurita), la laîche pâle (Carex pallescens), des sphaignes (Sphagnum sp.) mais aussi plus étonnamment, au niveau d'un sentier remblayé par des pierres calcaires, le petit rhinanthe (Rhinanthus minor), le lin purgatif (Linum catharticum), le petit boucage (Pimpinella saxifraga), le jonc grêle (Juncus tenuis), ...
L'intérêt faunistique de l'ensemble du périmètre est bien connu mais n'a été que partiellement documenté. Comme souvent, les données disponibles concernent surtout les oiseaux, les mammifères, les papillons diurnes et les libellules. On y recense pas moins de 33 espèces de papillons diurnes, dont les trois éléments les plus typiques des fonds de vallée ardennais: le cuivré écarlate (Lycaena hippothoe), le cuivré de la bistorte (Lycaena helle) et le nacré de la bistorte (Boloria eunomia).