La gestion des milieux prairiaux
La gestion des prairies et pelouses calcaires de la réserve naturelle de Derrière chez Mélanie doit permettre de concilier les différents objectifs de maintien et restauration de la diversité des communautés végétales et des populations d'espèces animales les plus typiques de ces habitats. Les prairies et pelouses calcaires, si elles ne sont pas gérées, peuvent être menacées par une banalisation des espèces végétales (par exemple, envahissement par des graminées sociales) et par le reboisement spontané par diverses formations ligneuses (fourrés d'épineux principalement). Afin de favoriser certaines espèces animales et végétales (dont de nombreux papillons) il est nécessaire de gérer ces zones essentiellement par pâturage, fauchage ou débroussaillage extensif. Les prairies et pelouses qui sont dans un bon état de conservation (c.-à-d. peu enfrichées, avec un recouvrement faible d'espèces nitrophiles ou rudérales banales) peuvent être maintenues par une gestion peu fréquente, soit par pâturage extensif, et/ou par une fauche extensive. Une combinaison des deux modes de gestion peut également s'envisager sous la forme d'un pâturage du regain.
Concernant les prairies et pelouses pâturées, plusieurs modalités de gestion sont à déterminer dans le cadre du pâturage extensif:
- Type de bétail: étant donné les conditions de pente et de sécheresse du terrain, le pâturage se fera de manière préférentielle avec des ovins et caprins rustiques, les vaches et chevaux étant généralement peu adaptés à ce type de terrain. Toutefois, en fonction des possibilités, un pâturage par des animaux de race classique peut également être envisagé.
- Saison de pâturage: Le pâturage des prairies et pelouses sera réalisé à partir de fin-juin début-juillet et ce pour une période de 3 semaines à deux mois afin de limiter la croissance des rejets ligneux et de certaines espèces vigoureuses (graminées sociales notamment), limiter la colonisation de la prairie par les ligneux et éliminer une bonne partie de la production végétale annuelle
- Charge de pâturage: La charge acceptable pour les prairies et pelouses rencontrées dans la réserve naturelle de Derrière chez Mélanie pourra aller jusqu'à 1,5 UGB/hectares pour une durée d'un à deux mois (= charge annuelle inférieure à 0,25 UGB/ha). Un pâturage plus intensif pourra être mis en place si on constate un envahissement trop important par les ligneux ou les graminées sociales.
Gérer les pelouses à l'aide du pâturage ne peut contenir à lui seul toute la dynamique ligneuse. En effet, tous les ligneux ne sont pas pâturés par les animaux. Il importe donc de faire un contrôle des rejets ligneux en éliminant les plantules et jeunes plants dans les pelouses existantes, en éliminant éventuellement des semenciers «dangereux» à proximité (bouleaux et pins surtout) et en gérant spécifiquement les lisières.
En fonction de l'état de conservation des pelouses calcaires, 4 modalités de traitement du pâturage peuvent être développées:
1. Parcelles en très bon état de conservation: pâturage en rotation un an sur trois avec contrôle des rejets après la session de pâturage et dans lesquelles des précautions particulières sont prises pour conserver la flore et surtout la faune. Il permet notamment de conserver de jeunes rejets ligneux.
2. Parcelles intéressantes mais dégradées: pâturage en rotation un an sur deux avec contrôle mécanique complémentaire des rejets et des refus herbacés.
3. Pelouses enfrichées en restauration: pâturage annuel avec contrôle des rejets et des refus herbacés après la session de pâturage
4. Coupes forestières récentes: pâturage deux fois par an avec contrôle des rejets ligneux complémentaires facultatifs.
Une autre option consiste en la mise en œuvre d'une fauche extensive des prairies, sur les parties les moins pentues de la réserve. Cette fauche sera réalisée tardivement (si possible après le 1er juillet). Lorsque l'état de conservation est jugé satisfaisant, les prairies et pelouses peu fertilisées peuvent être fauchées en septembre (ou au plus tard au début de l'automne) en maintenant une surface suffisante en zone refuge (non fauchée), en rotation. Très localement, en vue de la conservation d'espèces végétales ou mycologiques menacées, un fauchage plus précoce ou plus tardif pourra être effectué. Dans tous les cas, le produit de la fauche sera exporté. Lorsqu'il n'est pas indispensable d'exporter ce foin rapidement (pour valorisation agricole ou épandage en vue de la restauration de prairies), il est recommandé de ne pas ramasser ou détruire trop rapidement les produits de la fauche, mais d'attendre quelques jours après la coupe. Cela permet aux graines subsistant dans le foin de terminer leur maturation et de tomber sur le sol, ainsi qu'aux invertébrés d'émigrer vers des zones refuges. Il faut éviter de faucher l'herbe au ras du sol. Une telle pratique peut favoriser le développement d'espèces indésirables, comme par exemple Cirsium arvense. La hauteur de coupe ne doit donc pas être trop basse, de manière à ne pas « scalper » le sol. Une hauteur comprise entre 7 et 10 cm est recommandée. Là où les prairies ont fait l'objet d'intensification agricole, la gestion idéale est une fauche annuelle de restauration pendant plusieurs années, avec exportation des produits de coupe. Les zones les plus dégradées pourraient éventuellement faire l'objet de plusieurs fauches par an afin de rétablir un niveau trophique favorable à la diversité floristique. Après cette période de restauration, on pourra y appliquer une gestion identique aux prairies en bon état.
Tenant compte de l'avifaune des prés bocagers, les nécessités suivantes devront guider la mise en oeuvre des modalités de gestion:
- Maintien d'une certaine abondance et diversité de nourriture: la plupart des oiseaux caractéristiques des prés bocagers sont des espèces insectivores, se nourrissant d'une grande variété d'insectes. Cette variété sera maintenue en assurant le maintien de la diversité végétale des milieux prairiaux dans lesquels ces espèces se nourrissent. Par ailleurs, dans les zones gérées par la fauche ou par le pâturage, quelques précautions relativement simples permettront de tenir compte de l'entomofaune : il s'agit simplement de ne pas gérer toute la surface d'une réserve en même temps, mais de travailler en rotation. Le maintien de bandes refuges au sein des parcelles fauchées est également une mesure simple à appliquer. La juxtaposition de zones fauchées, de zones pâturées et de zones laissées à l'abandon devrait permettre de maintenir cette diversité.
- Maintien de sites de nidification: parmi les espèces d'oiseaux typiques des prairies bocagères, on compte à la fois des espèces qui nichent au sol et des espèces nichant principalement dans des éléments ligneux. Pour les espèces nichant au sol, il est intéressant de maintenir des zones de touradons de graminées privilégiées par certaines espèces pour nicher. Pour d'autres espèces, il est important de maintenir des bosquets d'épineux, des arbres et buissons isolés et des haies.
- Maintien de postes de chant et d'affût (buissons, piquets de clôture) : pour certaines espèces, il s'agit d'une mesure indispensable pour garantir les conditions appropriées à leur maintien.
Concernant les populations de papillons, c'est de nouveau par un maintien d'une diversité des communautés végétales, avec une mosaïque de végétations de composition et de structure différentes que l'objectif de conservation pourra être atteint. Quelle que soit la méthode adoptée, il convient donc d'être particulièrement attentif à ménager chaque année des zones refuges de taille suffisante qui ne seront pas concernées par la gestion. Le maintien de zones abandonnées (îlot et en bordure), où la végétation peut se développer (formation de touradons entre autres), est extrêmement favorable à certaines espèces de papillons (seule la coupe régulière des ligneux y sera effectuée afin d'éviter l'embroussaillement). Par ailleurs, si le développement des massifs ligneux peut devenir une menace, il est essentiel de conserver certains de ces massifs, de même que des lisières, au sein ou en bordure des prairies, car ils servent de refuge nocturne et de sources de nectar pour certaines espèces. Ainsi, on visera à tendre vers une juxtaposition de milieux ouverts, de secteurs arbustifs et de quelques zones boisées. En effet, cette mosaïque structurale s'avère être un facteur indéniable d'enrichissement en termes de diversité d'habitats et d'espèces.
De manière générale, pour les populations d'invertébrés, il est important que les interventions de gestion ne concernent pas l'entièreté de leur habitat afin que des surfaces suffisantes de zones refuges soient conservées annuellement. On préconise généralement de gérer annuellement 1/3 de la parcelle en laissant le reste en zone refuge.
Concernant les espèces végétales, on peut supposer qu'une gestion en faveur de la plus grande diversité des communautés favorisera un maximum d'espèces végétales. En maintenant au sein de la mosaïque des prairies de fauches peu ou moyennement fertilisées, des pelouses calcaires, des ourlets calcicoles, les espèces végétales associées à ces différents types d'habitats devraient se maintenir. Plus particulièrement dans les zones à orchidées (dont les Ophrys), il faut éviter l'établissement d'une végétation herbacée trop haute qui étoufferait les Ophrys. Il est également souhaitable de repérer les rosettes présentes dès le mois d'octobre, avant le passage des moutons, afin de placer une petite cage pour éviter qu'ils ne soient broutés. Concernant certaines espèces rares et menacées (orchidées, genévrier), une aide à la reproduction pourrait être envisagée. Sous réserve du respect de certaines conditions techniques et déontologiques, les orchidées pourraient être semées in vitro et les jeunes rosettes replantées afin de renforcer les populations en place. De même, concernant les genévriers, un renforcement de la population pourrait être envisagé par le semis de galbules provenant e.a. de la pelouse calcaire proche de Hohière.
Concernant les champignons, la restauration d'un cortège d'espèces des prés maigres à hygrophores et entolomes peut être favorisée par une exportation de la matière organique, ainsi qu'un pâturage avant le 10 octobre pour que la végétation soit rase quand c'est la bonne saison pour ces espèces tardives. Les lisières exposées ouest et nord sont les plus intéressantes, surtout pour de petits ascomycètes: dans le cadre d'un pâturage, le placement d'exclos amovibles peut être bénéfique, pour laisser çà et là des endroits où toutes les espèces des ourlets et lisières peuvent prospérer. Ces espèces sont souvent fortement liées à certaines plantes dont Rubus caesius, Brachypodium sylvaticum, Aquilegia vulgaris, Polygonatum multiflorum, Valeriana repens,...
La gestion des milieux boisés
Les milieux boisés de la réserve consistent essentiellement en éléments de forêts méso- et eutrophes à Quercus, Carpinus, Fraxinus, Acer, Tilia, Ulmus, de fourrés arbustifs et de haies.
Le premier type devrait être géré comme zone de conservation intégrale. L'abattage des arbres y sera exceptionnel: seules des interventions ciblées seront pratiquées afin de sécuriser les infrastructures, lutter contre les espèces envahissantes, etc. Les arbres morts y seront également conservés afin de favoriser la flore et la faune qui sont associées au bois mort. Cette gestion s'assimilera à une réserve intégrale, qui privilégiera le maintien des vieux arbres (dits sénescents), ainsi que la présence d'une importante quantité de bois mort.
De façon à favoriser l'entomofaune forestière et la flore de mi-ombre, il est conseillé de maintenir ou de créer des lisières forestières (bandes arbustives et herbacées). Des ourlets forestiers bien structurés existent déjà en bordure de la plupart des massifs boisés. Les buissons de lisières doivent idéalement être recépés périodiquement et les bandes herbeuses fauchées tardivement et en rotation.
Les fourrés arbustifs pourront faire l'objet d'un recépage périodique (tous les 5 à 10 ans) en vue de les maintenir dans un stade jeune et éviter leur extension sur les zones ouvertes voisines.
Les haies situées au sein de la réserve seront entretenues de façon extensive. Dans la mesure du possible, les haies arbustives basses (e.a. aubépines et pruneliers) seront laissées à leur libre évolution. Les haies comprenant des essences arborescentes (érables, frênes, saules blancs) devront éventuellement faire l'objet d'élagages périodiques (tous les 3 à 5 ans) en vue de maintenir ces dernières dans des dimensions acceptables pour le voisinage et la préservation des milieux ouverts voisins.