L'ensemble formé par les fagnes du Nesselo, Devant Troupa et Herzogenvenn appartient au complexe des fagnes périphériques situé à l'est du plateau des Hautes Fagnes, entre la Fagne Wallonne et Elsenborn. On se trouve ici aux confins de la province de Liège, à peine à 4 km de la frontière allemande, à cheval sur les communes de Waimes et de Butgenbach.
Le site s'étend sur près de 200 ha, de part et d'autre de la Roer, au nord des villages de Sourbrodt et de Bosfagne, et à moins de 2 km à l'ouest du Camp d'Elsenborn. Il est limité au nord par le Grand Troupa et la forêt du Rurbusch, à l'ouest par le Camp des Russes et la Noire Eau, au sud par la vallée de la Petite Roer, et à l'est par la Vennbahn, l'ancien chemin de fer des Fagnes aujourd'hui reconverti en voie lente et cyclable.
Cette vaste zone humide s'étale sur une distance de 2800 m dans l'axe ouest-est le long de la vallée de la Roer, depuis la route de Bosfagne et la Noire Eau, à l'ouest (amont), jusqu'à la Vennbahn, à l'aval, à proximité de la confluence de la Petite Roer.
La Roer (Rür en allemand, Rour en français) prend source dans la Fagne Wallonne, à quelques km d'ici, tandis que son affluent, la Petite Roer, naît au nord de Sourbrodt. Ce sont deux rivières typiquement fagnardes, aux eaux acides, oligotrophes et froides. Elles appartiennent au bassin hydrographique de la Meuse.
Le Nesselo, au sens strict, est une enclave d'une trentaine d'hectares entourée par les massifs du Grand Troupa, du Petit Troupa et du Rurbusch. Le Scheidbach, petit affluent de rive gauche de la Roer, y prend naissance à 600 m d'altitude et s'écoule ensuite en direction du sud sur un peu plus de 1700 m de longueur. Sur ses 500 derniers mètres, ce ruisseau marque physiquement la limite communale entre Waimes et Butgenbach et il est longé par un sentier de promenade aménagé en caillebotis.
A l'ouest du Scheidbach, la fagne, souvent appelée Devant Troupa, s'étend entièrement sur le territoire de Waimes et constitue la portion la plus amont du site. Elle a une forme vaguement hexagonale d'environ 1000 m sur 800 m. La Roer la traverse de façon sinueuse, à peu près en son centre, de l'ouest vers l'est. La fagne comporte en outre plusieurs petits diverticules ou ruisselets qui convergent vers la rivière. Au sud de celle-ci, huit petits plans d'eau ont été créés par ennoiement au début des années 2010, dans le cadre des travaux de restauration du projet LIFE "Hautes Fagnes". En marge occidentale, existe un monument dit "La Croix des Russes", érigée en 1963 à l'emplacement d'un camp de prisonniers russes de la seconde guerre mondiale, puis reconstruite en 1992 conformément aux croix russes, de style orthodoxe.
Quant à l'Herzogenvenn, situé sur Butgenbach, il s'agit de la fagne située à l'est du Scheidbach, s'étalant toute en longueur sur une distance de 1700 m, toujours dans l'axe ouest-est, mais cette fois-ci essentiellement en rive gauche de la Roer, entre le cours d'eau et la marge sud du Rurbusch. Sa limite orientale, quelque peu abstraite, est marquée par la digue de la Vennbahn. A cet endroit, l'altitude s'abaisse à environ 540 m.
L'environnement de ces fagnes est formé, au nord, de vastes plantations résineuses (surtout épicéas) et de quelques forêts feuillues (en particulier le Rurbusch), et au sud par des prairies de fauches et des pâtures en lien avec les villages de Bosfagne et de Sourbrodt. Aucune autoroute ni route importante ne longe ni ne traverse le site. L'absence d'industries et de zonings commerciaux dans le voisinage immédiat est également à souligner.
Le climat des Hautes Fagnes est plus continental que le reste de la Wallonie. En raison d'altitudes plus élevées, les températures moyennes sont plus basses et les hivers plus longs et plus rudes, avec un nombre de jour de pluie et de neige nettement plus grand.
Du point de vue biogéographique, le site se trouve en région continentale et dans le district ardennais, sous-district de Haute Ardenne.
Les fagnes de Nesselo, Devant Troupa et Herzogenvenn appartiennent aux fagnes satellites de la partie orientale des Hautes Fagnes. S'étendant sur près de 200 ha, le long de la Roer, elles regroupent une remarquable mosaïque de végétation de tourbières et de marais acides de grand intérêt botanique et faunistique.
La plus grande partie de ce complexe fagnard est inscrite dans le réseau Natura 2000 au sein du site BE33036 "Fagnes de la Roer". A ce titre, la cartographie précise des habitats a été réalisée en 2009 sur base de nombreux relevés floristiques globaux effectués par O. Schott et D. Kever (SPW-DEMNA). Le site a en outre fait l'objet de suivis lors du projet LIFE "Hautes Fagnes" durant les années 2000 par P. Frankard (SPW-DEMNA). Il est par ailleurs régulièrement parcouru par de nombreux naturalistes dont les observations sont disponibles depuis 2007 sur les portails internet (Observations.be, OFFH, Biogéonet, ...) et s'avèrent utiles pour améliorer les connaissances sur la biodiversité locale.
D'après la cartographie du site Natura 2000, on trouve sur l'ensemble du périmètre les habitats suivants:
- végétation enracinée flottante des eaux oligotrophes, indiquée par la présence du potamot à feuilles de renouée (Potamogeton polygonifolius), dans les mares, petits plans d'eau et parties plus lentes des ruisseaux;
- eaux stagnantes dystrophes;
- communautés amphibies pérennes des eaux douces oligo-mésotrophes;
- tourbières hautes actives, se présentant sous la forme de buttes et tapis de sphaignes polychromes comportant des éricacées dont la bruyère quaternée (Erica tetralix), l'andromède (Andromeda polifolia), la canneberge (Vaccinium oxycoccos) et quelques cypéracées dont la linaigrette vaginée (Eriophorum vaginatum) et la linaigrette à feuilles étroites (E. angustifolium), mais aussi le rossolis à feuilles rondes (Drosera rotundifolia) et quelques autres espèces; ces buttes sont généralement séparées par des dépressions mouilleuses soulignées par des tapis de narthécies (Narthecium ossifragum);
- tourbières hautes dégradées, pauvres en sphaignes et largement dominées par la molinie (Molinia caerulea) poussant souvent en touradons et accompagnée de la linaigrette vaginée (Eriophorum vaginatum), la bruyère quaternée (Erica tetralix), la callune (Calluna vulgaris), la myrtille des marais (Vaccinium uliginosum), l'airelle rouge (Vaccinium vitis-idaea), la myrtille commune (Vaccinium myrtillus), ...;
- bas-marais acides à laîche noire (Carex nigra), laîche blonde (Carex canescens) et laîche étoilée (Carex echinata), occupant généralement de faibles surfaces sur les sols tourbeux détrempés, souvent en compagnie de la violette des marais (Viola palustris), le gaillet des fanges (Galium palustre), l'épilobe des marais (Epilobium palustre), et régulièrement pénétré par le jonc à tépales aigus (Juncus acutiflorus);
- bas-marais à narthécie (Narthecium ossifragum) et scirpe cespiteux (Trichophorum cespitosum), groupement caractérisant, avec aussi des sphaignes (Sphagnum fallax et S. cuspidatum), les criques de suintements d'eau oligotrophe et acide au sein des landes tourbeuses;
- bas-marais à linaigrette à feuilles étroites (Eriophorum angustifolium), souvent présents en bordures des tourbières hautes, sur substrats tourbeux très humides, où les linaigrettes émergent typiquement des tapis de sphaignes, en compagnie de la laîche à bec (Carex rostrata), la laîche noire (Carex nigra), la laîche étoilée (Carex echinata), etc.
- cariçaie à laîche à fruits velus (Carex lasiocarpa), groupement très localisé formant des tremblants des gouilles de tourbières hautes;
- cariçaie à laîche à bec (Carex rostrata), au bord des mares et des dépressions tourbeuses ou formant des franges d'atterrissement des gouilles des tourbières hautes;
- radeaux flottants à linaigrettes (Eriophorum angustifolium), sphaignes (Sphagnum cuspidatum, S. auriculatum, S. fallax), comaret (Comarum palustre), trèfle d'eau (Menyanthes trifoliata);
- nardaies oligotrophes à polygala à feuilles de serpolet (Polygala serpyllifolia), pelouse très maigre sur sols pauvres à gley ou pseudogley, renfermant toujours la molinie (Molinia caerulea), ainsi que le nard (Nardus stricta), la sieglingie décombante (Danthonia decumbens), la tormentille (Potentilla erecta), la fétuque filiforme (Festuca filiformis), le gaillet du Harz (Galium saxatile), la luzule champêtre (Luzula campestris), la laîche bleuâtre (Carex panicea), etc.;
- nardaies montagnardes à fenouil des Alpes (Meum athamanticum) et centaurée noire (Centaurea nigra), variété enrichie de la nardaie à gesse des montagnes (Lathyrus linifolius), renfermant également la raiponce noire (Phyteuma nigrum), l'arnica (Arnica montana), la bétoine officinale (Stachys officinalis), la succise des prés (Succisa pratensis), la véronique officinale (Veronica officinalis) et divers autres éléments des nardaies; des surfaces conséquentes de cet habitat rare ont été restaurées dans l'Herzogenvenn;
- prairies de fauche humides, formation typiquement à l'aspect en mosaïque, avec de nombreuses graminées prairiales et une grande variété de plantes hygrophiles; elle est représentée ici sous sa variante ardennaise acidocline caractérisée par une présence importante de la canche cespiteuse (Deschampsia cespitosa), de la bistorte (Persicaria bistorta), du scirpe des bois (Scirpus sylvaticus), du populage des marais (Caltha palustris), ...;
- nardaie fagnarde à jonc raide (Juncus squarrosus) et airelle des marais (Vaccinium uliginosum), présente sous forme de lambeaux de faible étendue, surtout en bordure des tourbières, caractérisée aussi par l'occurrence de mousses (Polytrichum commune en particulier), myrtille commune (Vaccinium myrtillus), airelle rouge (Vaccinium vitis-idaea), canneberge (Vaccinium oxycoccos), trientale (Trientalis europaea) et autres espèces des landes tourbeuses.
- nardaie paratourbeuse des fonds de vallées à jonc raide (Juncus squarrosus), groupement très proche du précédent et tout aussi rare;
- landes tourbeuses à éricacées, où alternent la myrtille des marais (Vaccinium uliginosum), la bruyère quaternée (Erica tetralix) et la callune (Calluna vulgaris), s'installant sur argiles blanches, éventuellement recouverte d'une fine couche tourbeuse, accompagnées d'autres plantes des landes comme la gentiane pneumonanthe (Gentiana pneumonanthe), le jonc raide (Juncus squarrosus), la myrtille commune (Vaccinium myrtillus), le scirpe cespiteux (Trichophorum cespitosum), le nard raide (Nardus stricta), la linaigrette vaginée (Eriophorum vaginatum) et plusieurs sphaignes (Sphagnum molle, ...);
- landes dégradées à molinie (Molinia caerulea), correspondant à un faciès de dégradation des landes humides, occupées à plus de 50% par la molinie et par ailleurs très pauvres en espèces;
- landes sèches submontagnardes, s'installant sur des sols podzoliques plus ou moins secs, à cortège souvent co-dominé par la callune (Calluna vulgaris), la myrtille commune (Vaccinium myrtillus), l'airelle rouge (Vaccinium vitis-idaea), accompagnés par le genêt d'Angleterre (Genista anglica), le genêt velu (Genista pilosa), la gesse des montagnes (Lathyrus linfolius), le nard (Nardus stricta), la tormentille (Potentilla erecta), l'épervière en ombelle (Hieracium umbellatum), etc.
L'intérêt floristique de cet ensemble de fagnes est évident et majeur. L'inventaire complet reste à réaliser mais l'état des connaissances actuelles fait état de la présence d'au moins 120 espèces de plantes supérieures dont nombre sont rares et/ou menacées à différents niveaux.
Plusieurs espèces végétales ont été mentionnées au cours des dernières décennies (notamment dans le plan de gestion de la réserve des Hautes Fagnes) mais leur présence au sein du site mériterait d'être confirmée par des observations récentes (Ph. Frankard, in litt, 2020):
- le botryche lunaire (Botrychium lunaria), a été signalé en bordure de la Vennbahn, au sud du site (Wallbrück) mais n'a pas été revu ces dernières années. Cette petite fougère très menacée existe toujours dans le camp d'Elsenborn voisin.
- la centaurée des montagnes (Centaurea montana), revue récemment le long de la route forestière qui borde le site à l'ouest (P. Frankard). Sa présence est en probable au sein de la fagne.
- le lycopode en massue (Lycopodium clavatum) est présent à proximité mais on ne dispose pas de données pour le site en lui-même.
- le lycopode sélagine (Huperzia selago), non observé récemment dans le site, mais encore présent au sud de la Bergervenn.
- la camarine noire (Empetrum nigrum) n'a jamais signalé sur les Fagnes de la Roer, mais une station existe non loin, au Rurhof.
- le bois joli (Daphne mezereum) existe probablement en pieds isolés mais n'a pas été renseigné ces dernières années.
Le peuplement faunistique de cet ensemble fagnard est tout autant remarquable que sa flore et comprend de nombreuses espèces rares à affinités montagnardes liées aux tourbières, landes et prairies humides, notamment parmi les libellules, les papillons, les carabes, ...
La richesse en libellules est remarquablement élevée: 37 espèces recensées au cours des quinze dernières années (2005-2020). Les populations de ces insectes aquatiques ont certainement été favorisées par les ennoiements qui ont multiplié les offres en habitats. Plusieurs espèces sont caractéristiques des milieux tourbeux et des eaux acides, comme l'aeschne subarctique (Aeshna subarctica), observée pour la première fois en 2018 et revue en 2020, l'agrion hasté (Coenagrion hastulatum), la leucorrhine douteuse (Leucorrhinia dubia), la leucorrhine rubiconde (Leucorrhinia rubicunda), la cordulie arctique (Somatochlora arctica) ou encore l'orthétrum bleuissant (Orthetrum coerulescens). Certaines libellules plus banales semblent avoir apparu récemment sur le site. Il s'agit en particulier d'espèces d'origine méridionales, tels que l'agrion mignon (Coenagrion scitulum) (1ère obs. en 2020), la libellule écarlate (Crocothemis erythraea) (1ère obs. 2019), le sympétrum à nervures rouges (Sympetrum fonscolombii), ...
De même, la diversité des papillons diurnes est à souligner, avec au moins 43 espèces répertoriées à ce jour dans les limités du site! Certaines sont connues de longue date, tandis que d'autres sont d'apparition récente, comme le céphale (Coenonympha arcania) noté en 2015 puis en 2018, mais aussi le tircis (Pararge aegeria), observé pour la première fois en 2019, à présent assez répandu sur le plateau des Hautes Fagnes alors qu'il y était rare autrefois.
L'avifaune n'est pas en reste et les espèces palustres (canards, limicoles, ...) ont certainement bénéficié, comme pour les libellules, de la création des plans d'eau par ennoiement au sein des fagnes. C'est ainsi que la sarcelle d'hiver (Anas crecca) a niché avec certitude en 2019, de même que le canard colvert (Anas platyrhynchos) et possiblement aussi le vanneau huppé (Vanellus vanellus). Diverses autres espèces y font halte migratoire ou y trouvent refuge durant l'hiver: le canard souchet (Anas clypeata), la sarcelle d'été (Anas querquedula), la bécassine sourde (Lymnocryptes minimus), le combattant varié (Calidris pugnax), le chevalier culblanc (Tringa ochropus), le chevalier sylvain (Tringa glareola) lequel est aussi un estivant possible, ...
Enfin, le site a été le théâtre d'un des évènements ornithologiques majeurs de l'année 2020: une première tentative de reproduction de l'élanion blanc (Elanus caeruleus) en Belgique!