Le suivi des micro-mammifères
Plus une espèce est petite et nocturne, plus il est difficile de la détecter dans son environnement. Cette situation vaut pour un grand nombre d’espèces de micromammifères parmi lesquelles se trouvent les rongeurs et les eulipotyphles (anciennement appelés insectivores), en particulier les musaraignes.
Dans ce groupe disparate de près d’une vingtaine d’espèces de micromammifères, celles bénéficiant d’un statut de protection (annexe 3 de la convention de Berne, annexes 2b et 3 de la Loi sur la Conservation de la Nature) sont les musaraignes aquatique (Neomys fodiens), de Miller (Neomys anomalus), carrelet (Sorex araneus), couronnée (Sorex coronatus) et bicolore (Crocidura leucodon).
Dès 2005, dans le cadre des travaux de la Convention Mammifères entre le Service Public de Wallonie et l’Uliège, elles ont fait l’objet d’un monitoring particulier en vue de préciser leur répartition et leurs microhabitats.

© Quentin Watthez
Plusieurs méthodes ont été utilisées pour collecter l’information à leur sujet. Elles sont présentées ci-après.
Analyse de pelotes de réjection de la chouette effraie
La chouette effraie (Tyto alba) consomme quasi exclusivement des micromammifères, à l’exception de quelques oiseaux et batraciens. Elle est donc un bon indicateur de la présence de rongeurs et de musaraignes dans les habitats qu’elle occupe. De plus, son spectre de prédation très généraliste, fait qu’elle consomme les micromammifères suivant leur abondance dans l’environnement dans un rayon d’environ 2 km autour de son gîte.
Elle a également l’avantage de régurgiter ses pelotes de réjection presque toujours au même endroit. Ceci permet d’accumuler un nombre important de restes de micromammifères identifiables par leur morphométrie crânienne. La probabilité de détecter une espèce dépend néanmoins de son abondance dans l’environnement et du nombre total de crânes identifiés pour un même lot de pelotes. On considère habituellement que l’analyse d’environ 300 crânes issus d’un même site permet de réduire le risque de sous-détection d’espèces rares. C’est cette démarche qui a été privilégiée pour approcher la distribution et la fréquence d’occurrence des différentes espèces de micromammifères à grande échelle. En Région wallonne, environ 130 sites à chouette effraie ont été prospectés, et ont conduit à l’analyse de plus de 30.000 crânes de rongeurs et de musaraignes. Leur distribution géographique entre les années ’80 (Libois XXX) et celle des années 2006 à 2022 ont ainsi pu être comparées.


© Vinciane Schockert
Pour une majorité de rongeurs et de musaraignes, la fréquence d’occurrence spécifique n’a pas significativement changé dans le régime alimentaire de la chouette effraie en Wallonie au cours des dernières décennies. Par contre, celles de la musaraigne aquatique (N. fodiens) et, encore plus, de la musaraigne bicolore (C. leucodon) ont diminué de manière significative.
Capture par piégeage vivant in situ

© Vinciane Schockert
La découverte de crânes de Neomys et de Sorex dans une partie des lots de pelotes de réjection d’effraie a été suivie d’analyses cartographiques visant à déterminer des habitats potentiellement intéressants pour ces espèces autour des sites de collecte des lots de pelotes de réjection. Une partie de ceux-ci font l’objet de sessions de piégeage vivant sur le terrain à l’aide de pièges Sherman dans le but de préciser les caractéristiques des micro-habitats utilisés par chacune des espèces de musaraignes protégées.
Cette méthodologie de piégeage consiste à placer de 5 à 10 pièges Sherman munis d’un appât et espacés de 10 à 20 m dans les habitats potentiellement utilisés par les musaraignes visées. Ces pièges ont l’aspect de boîtes en aluminium enfermant leur visiteur lorsqu’il atteint l’appât : il déclenche ainsi la porte du piège qui se referme et permet de garder le visiteur à l’intérieur jusqu’à ce qu’il soit contrôlé par l’opérateur.
Les pièges sont contrôlés au moins deux fois par 24h : une fois en fin de journée, une fois à l’aube. Chaque animal piégé est déterminé (avec parfois une collecte d’échantillons de poils ou de fèces) avant d’être relâché. Les caractéristiques du micro-habitat dans lequel le piège est installé sont notées pour analyse ultérieure.
Analyse génétique
Pour les espèces jumelles de musaraignes comme la musaraigne carrelet et la musaraigne couronnée, aucun critère morphologique externe ne permet de déterminer les individus à l’espèce par examen direct. Sur les individus vivants capturés, le simple prélèvement d’une touffe de poils peut aider à atteindre ce niveau d’information. L’analyse génétique de l’échantillon à l’aide d’amorces spécifiques testées sur l’ADN extrait permet en effet de vérifier leur appartenance à Sorex araneus ou à Sorex coronatus. Cette méthode a par exemple permis de compléter les résultats de piégeages. Elle a aussi mis en lumière la sympatrie des espèces jumelles de Sorex dans plusieurs sites.

Sorex araneus © Vinciane Schockert
En 2024, une étude génétique basée sur la technique de qPCR, et plus spécifiquement de ddPCR, a été menée à l’échelle de plusieurs secteurs du bassin de la Semois. Elle visait la détection de la seule musaraigne aquatique mais elle a finalement été étendue à la détection de la musaraigne de Miller. Malgré les niveaux d’eau élevés au printemps 2024, cette méthode a abouti à la découverte des deux espèces sur plusieurs tronçons de la Semois ou de ses affluents, alors que les méthodes par piégeage vivant ou photographiques n’avaient presque rien apporté comme données au cours de la même période. L’analyse ddPCR est plus onéreuse lorsqu’il s’agit de traiter un faible nombre d’échantillons mais prend tout son sens lors du traitement d’informations à plus large échelle.
Suivi par piège photographique
En 2024, des pièges photographiques adaptés à la détection de petites espèces ont été utilisés dans le cadre d’une analyse comparative de méthodes de détection des musaraignes aquatiques. Ces caméras à déclenchement automatique sont placées dans des zones d’habitats propices à ces espèces qui y sont attirées à l’aide d’un appât. Les données collectées montrent qu’il est possible de déterminer le genre des individus photographiés ou filmés, mais qu’il est relativement difficile d’atteindre la détermination à l’espèce, certains critères morphologiques déterminants n’étant pas suffisamment visibles la plupart du temps. Ces dispositifs pourraient certainement être améliorés pour augmenter les chances d’identification des espèces car ils présentent l’avantage de limiter leur dérangement.
Publications
- Libois R.M. (1975). Clé micromammifères
- Schockert V. & Libois R. (2017) Les campagnols, chaînons essentiels des écosystèmes, n°83, p 6-10.
- Baar A., Schockert V., Dohogne L., Le Proux de la Rivière B., Vanderlinden S. et Libois R. (2007) -. Statut de conservation et habitat de la musaraigne de Miller (Neomys anomalus) en Ardenne (Belgique). Communication au 30ème Colloque de Mammalogie de la SFEPM : « Les mammifères et massifs montagneux ». 27-28 oct 2007.