Les forêts anciennes subnaturelles se définissent comme des zones ayant connu une continuité de leur occupation forestière feuillue selon les cartes historiques (depuis la fin du 18ème siècle). Elles présentent un intérêt comme réservoir de biodiversité. Leurs caractéristiques les prédisposent mieux à la résilience au changement climatique. Elles couvrent 185 400 ha, soit un tiers de la superficie boisée en Wallonie.

Parmi elles, moins d’1% bénéficient d’un statut de protection légal fort, de type « réserve naturelle ». 48 % des forêts anciennes subnaturelles bénéficient d’un certain niveau de protection lié à leur localisation en site Natura 2000. Le reste se répartit équitablement entre propriété privé et propriété publique.

Pourquoi l’ancienneté ?

La série de données sur l’ancienneté des forêts de Wallonie répond aux exigences du Code forestier de tenir compte de l’histoire des parcelles forestières lors de l’élaboration de la rédaction des aménagements des forêts publiques. Simultanément, cette exigence s’est inscrite dans les conditions permettant d’accéder à la certification de la gestion durable des forêts (PEFC et FSC). Outre cette composante réglementaire, cette série de données permet à tous les propriétaires forestiers de mieux connaître l’histoire de leurs parcelles et d’y déceler des enjeux économiques, écologiques ou sociaux qui y prévalaient antérieurement.

Réservoirs de biodiversité forestière

Les forêts anciennes hébergent davantage de biodiversité forestière que les autres types de boisement. Ce ne sont que dans ces forêts que subsistent notamment certaines espèces forestières longévives (à très longue durée de vie) ou philopatriques (dont les individus se dispersent très peu d’une année à l’autre). Elles constituent ainsi un réservoir pour des espèces de la faune et de la flore du sol, certains coléoptères du bois mort, et des plantes à faible capacité de dispersion... Par exemple, certaines espèces emblématiques de forêt ancienne, telles que les jonquilles ou les jacinthes des bois, se propagent essentiellement par reproduction végétative, de quelques dizaines de mètres par siècle.

 

jonquilles_en_foret_ancienne.jpg

Tapis de jonquilles en forêt ancienne © Thierry Kervyn

Les principales plantes indicatrices de l’ancienneté d’une forêt en Wallonie sont l’ail des ours, l’anémone sylvie, l’aspérule odorante, le blechnum en épi, la jacinthe des bois, la jonquille, la luzule des bois, la luzule multiflore, la luzule printanière, le maïanthème à 2 feuilles, la mercuriale vivace, le muguet, la parisette à quatre feuilles, la renoncule tête d'or, le sceau de Salomon multiflore, le sceau de Salomon odorant, le sceau de Salomon verticillé, et la scille à deux feuilles.

Spy_Anemone_nemorosa_Anémone des bois_Thierry_Kervyn-1.JPG

Anémones des bois © Thierry Kervyn

Une donnée classée selon l’ancienneté et selon la composition au 21ème siècle

Issue d’une compilation de l’occupation des sols figurant dans les principales cartes topographiques des 18ème et 19ème siècles, cette série de données se compose actuellement de quatre couches cartographiques, dont la plus importante, celle sur l’ « Ancienneté des forêts actuelles » qui propose une classification des forêts actuelles en fonction de leur datation estimée. Cette donnée synthétise les informations historiques et c’est elle qui focalise davantage d’attention et d’usages.

Plusieurs situations ont ainsi pu être identifiées :

foretsanciennes_20240904.jpg

  • des forêts anciennes subnaturelles (185.500 ha en Wallonie), dont l’état boisé feuillu est continu depuis la seconde moitié du 18e siècle. Elles ont été relativement épargnées par les transformations anthropiques et sont continuellement restées sous forme de peuplements feuillus indigènes, quelle que soit la sylviculture pratiquée ;
  • des forêts anciennes transformées en plantations de résineux (111.000 ha), cette transformation n’étant parfois que temporaire lorsque des feuillus reviennent après une ou deux révolutions forestières résineuses ;
  • des boisements récents, feuillus (114.000 ha) ou résineux (136.000 ha), généralement implantés sur des landes, des prairies, des terres arables ou, plus récemment, des terrains industriels ;
  • et enfin des déboisements nets (136.500 ha) par rapport à la situation documentée sur la carte de Ferraris (carte topographique la plus ancienne, datant de la fin du 18ème siècle).

Résilience et recherche forestière

Depuis que cette donnée est disponible, la recherche forestière européenne s’intéresse davantage à l’ancienneté des forêts. Ces recherches permettent notamment de mieux comprendre comment les forêts anciennes subnaturelles sont mieux prédisposées à la résilience face aux changements climatiques.

Cette particularité résulte notamment des trois caractéristiques suivantes :

foretancienne_hermeton_LionelWibail.jpg

Le site Natura 2000 «Vallée de l’Hermeton en aval de Vodelée» contient de grandes surfaces de forêts feuillues anciennes © Lionel Wibail

  • Les forêts anciennes comportent en moyenne un nombre significativement accru d’essences forestières par unité de surface, comparativement aux boisements récents (données IPRFW). Dès lors, si une des essences forestières y dépérit temporairement, les autres sont déjà présentes pour maintenir l’ambiance forestière (ombrage, humidité du sol et de l’air) jusqu’au rétablissement d’une canopée continue.
  • L’enracinement des arbres en forêt ancienne résulte d’explorations racinaires du sous-sol durant plusieurs siècles, même dans d’anciens taillis. Beaucoup plus profond qu’en boisement récent, il permet aux arbres d’accéder à davantage de ressources phréatiques et expose moins les radicelles aux épisodes de sécheresse (Mausolf et al., 2020). En raison de cette activité racinaire profonde pluriséculaire, le sous-sol des forêts anciennes présente une macroporosité accrue. Il en découle une meilleure capacité de stockage de l’eau dans le sous-sol (Archer et al. 2016).
  • Le sol des forêts anciennes présente une abondance plus élevée de champignons mycorhiziens. Ces liens symbiotiques renforcés améliorent l’approvisionnement des plantes en nutriments tels que l'eau, le phosphore, le soufre, l'azote et les micronutriments du sol. Il en résulte une plus grande résilience face aux changements environnementaux (Yang et al. 2023).

La dégradation de la qualité des sols des forêts anciennes subnaturelles est irréversible. Elle est en outre non compensable à l’échelle de temps humaine puisqu’elle résulte de processus longs de plusieurs siècles. Ces sols relativement indemnes de perturbations bénéficient actuellement d’un intérêt considérable pour mieux comprendre le fonctionnement des écosystèmes forestiers.

Une gestion différenciée indispensable

Le DNF, le DEMNA, l’AWAP et les universités wallonnes (Kervyn et al. 2017, 2018, 2021) ont identifié les éléments clés pour assurer la gestion durable du patrimoine forestier exceptionnel que constituent les forêts anciennes subnaturelles :

  • conserver, voire restaurer, la structure et la composition spécifique des habitats naturels, notamment en privilégiant la régénération naturelle et en contrôlant de manière stricte la pression des grands herbivores sur les régénérations ;
  • limiter au maximum les transformations résineuses et l’ensemencement naturel de résineux ;
  • limiter le recours aux coupes à blanc et surtout éviter les techniques associées comme le gyrobroyage, le dessouchage, l’étrépage ou l’andainage ;
  • installer, chaque fois que possible, des cloisonnements pérennes confinant le passage d’engins mécanisés aux seuls layons d’exploitation ou envisager une exploitation par câblage ;
  • valoriser le patrimoine biologique et archéologique des forêts anciennes dans la communication touristique.

Statut de protection actuel

Les forêts anciennes subnaturelles couvrent 185 400 ha, soit un tiers de la superficie boisée en Wallonie. Parmi elles, 48 % sont en Natura 2000 (89.083 ha, dont 14.787 ha avec indemnités PAC/Pwdr via les déclarations de superficie forestières) et moins d’1 % en réserve naturelle. Le solde ne bénéficie pas d’un statut de protection ce qui ne garantit pas la pérennité du fonctionnement de cet écosystème.

forets_anciennes_carte.jpg

Statut foncier :

  Forêt ancienne subnaturelle (ha) Pourcentage de la forêt ancienne subnaturelle
Forêts publiques 119290 64,3%
Forêts privées 66110 35,6%

 

Caractéristiques topographiques :

  Forêt ancienne subnaturelle (ha) Pourcentage de la forêt ancienne subnaturelle
Pente supérieure à 30 ° 5100 2,7 %
Pente supérieure à 15 ° 49500 26,7 %

 

Surfaces protégées :

  Forêt ancienne subnaturelle (ha) Pourcentage de la forêt ancienne subnaturelle
En site Natura 2000 89083 48,0 %
En réserve forestière 661 0,4 %
En réserve naturelle domaniale 627 0,3 %
En réserve naturelle agréée 419 0,2 %
En Zone humide d'intérêt biologique 34 0,0 %
En statut LCN (cumul géographique de Natura 2000, RF, RND, RNA, ZHIB) 89381 48,2 %
% en statut LCN 48,2 % 48,2 %

 

Les forêts anciennes hors Natura 2000 se composent de 47 000 ha en propriété privé et 49 400 ha en propriété publique. L’ajout d’un statut de protection garantissant au minimum le maintien sur le long terme de leur caractère indigène et une protection de leurs sols, et dans certains cas une protection plus forte, permettrait d’améliorer la gestion durable des forêts wallonnes, en conformité avec les axes stratégiques définis politiquement.

Politique forestière

Stratégie wallonne de développement durable (SWDD) (3ème  édition, 2022)

Pour ce qui concerne l’ODD 15 relatif à la préservation, la restauration et l’exploitation durable des écosystèmes terrestres, le Gouvernement s’est notamment fixé l’ambition suivante : « d’ici à 2030, 100 % des forêts anciennes présentes en Wallonie sont protégées ».

Stratégie biodiversité 360° (avril 2024) :

Dans la lignée de la stratégie européenne en faveur de la biodiversité et du cadre mondial en matière de biodiversité adopté lors de la COP15, la Wallonie se dote à son échelle d'une stratégie ambitieuse pour enrayer le déclin de la biodiversité wallonne dès 2030 et restaurer et préserver les écosystèmes à l'horizon 2050.

Le 25 avril 2024, le Gouvernement wallon a adopté la Stratégie Biodiversité 360°. Celle-ci fixe des objectifs ambitieux en matière de nature et de biodiversité dans tous les secteurs pour la décennie 2020-2030.  Parmi les 118 actions concrètes visées par la SB360° : La préservation de l’intégrité des forêts anciennes, principalement subnaturelles sera confortée, en forêt publique et privée, en visant prioritairement la préservation de la qualité biologique des sols et en veillant à éviter leur transformation et à ne pas y autoriser des projets qui entraînent la dégradation ou une perturbation significative des habitats et espèces qui y sont liés. L’amélioration des connaissances des enjeux liés aux forêts anciennes subnaturelles sera renforcée, notamment par l’élaboration d’une méthode d’évaluation de leur valeur biologique individuelle (Action 2.5.1.1. Assurer le maintien et l’intégrité écologique des forêts anciennes)

Stratégie Forestière Régionale (mai 2024) :

Dans l’objectif de « Mettre l’accent sur les hauts lieux de biodiversité forestière », l’action de « Préserver et améliorer la qualité des forêts anciennes » est libellé de la façon suivante :

« Bien que leur préservation soit un objectif largement partagé, les forêts anciennes subnaturelles ne font à l’heure actuelle l’objet d’aucune mesure spécifique. La validation de la cartographie des forêts anciennes, notamment subnaturelles, et les éventuelles corrections ou précisions à y apporter, est une première étape à opérationnaliser en concertation avec les propriétaires et gestionnaires. Des lignes directrices pour des mesures de préservation proportionnées pourront ensuite être établies. D’ores et déjà, propriétaires et gestionnaires sont sensibilisés à l’intérêt de ces écosystèmes particuliers ; mais cette sensibilisation pourra être renforcée en mettant l’accent sur les mesures principales permettant de les conserver en bon état. Des systèmes d’indemnisations ou d’incitants pourront être spécifiquement développés dans cet objectif.

Règlement européen sur la restauration de la nature (juin 2024) :

Ce règlement européen sur la restauration de la nature prévoit notamment l’obligation de restaurer à l’horizon 2050 le bon état de conservation sur 80 à 100 % des surfaces existantes des habitats listés en annexe I (dont tous les habitats forestiers d’intérêt communautaire) ; il prévoit également la mise en place de mesures de restauration nécessaires pour rétablir les surfaces des habitats qui n’atteignent actuellement pas leur surface favorable de référence. Ces mesures de restauration doivent se fonder sur les meilleures connaissances disponibles.

Ce règlement implique donc de maintenir ou d’augmenter les surfaces, et de ne pas dégrader les surfaces existantes, des habitats forestiers d’intérêt communautaire - qui couvrent des dizaines de milliers d’hectares en Wallonie, et constituent la majorité des surfaces des forêts anciennes. La perte de zones de forêts anciennes d’un habitat correspond indiscutablement à une dégradation de sa surface et de sa qualité, pratiquement impossible à compenser à moyen terme.

Parallèlement à ceci, la connaissance de l’historique (du type d’ancienneté) d’une zone forestière de moindre valeur biologique permet également de déterminer des zones écologiquement préférentielles pour la restauration d’autres types d’habitats – en particulier des milieux ouverts ou forestiers rares – telle que prévue par ce règlement européen.

Déclaration de Politique Régionale (juillet 2024) :

« Le Gouvernement objectivera l’intérêt écologique des forêts anciennes et analysera la pertinence d’un statut de protection ad hoc. »

En savoir plus

Les forêts anciennes de Wallonie - Série sur le Géoportail
Cette série propose de découvrir plusieurs couches de données en lien avec le passé des forêts en Wallonie. Comprendre l’histoire d’une forêt est important non seulement afin d’étudier les pratiques forestières anciennes mais aussi, et surtout, pour entreprendre avec sagesse sa gestion actuelle, notamment en termes de biodiversité.

Sources

  • Archer, N. A., Otten, W., Schmidt, S., Bengough, A. G., Shah, N., & Bonell, M. (2016). Rainfall infiltration and soil hydrological characteristics below ancient forest, planted forest and grassland in a temperate northern climate. Ecohydrology, 9(4), 585-600)
  • Arthur, G., Jonathan, L., Juliette, C., Nicolas, L., Christian, P., & Hugues, C. (2024). Spatial and remote sensing monitoring shows the end of the bark beetle outbreak on Belgian and north-eastern France Norway spruce (Picea abies) stands. Environmental Monitoring and Assessment, 196(3), 226.
  • De Keersmaeker L., Roggemans P., Ghysels T., Poelmans L., Buskens I., Petermans T., Tallir S., Van Valckenborgh J.(2024). Digitalisatie van historisch landgebruik en analyse van landgebruiksveranderingen in Vlaanderen (1778-2022). Resultaten van deep learning (AI) beeldclassificatie toegepast op drie historische kaarten. Rapporten van het Instituut voor Natuur- en Bosonderzoek 2024 (16). Instituut voor Natuur- en Bosonderzoek, Brussel. DOI: doi.org/10.21436/inbor.102669971
  • De Vroey M, Roggemans P, De Keersmaeker L (2024). Kartering van historische landschappen met houtkanten en bomenrijen. Rapporten van het Instituut voor Natuur- en Bosonderzoek 2024 (2). Instituut voor Natuur- en Bosonderzoek, Brussel. DOI: doi.org/10.21436/inbor.101416035
  • Kervyn, T., Scohy, J.-P., Marchal, D., Collette, O., Hardy, B., Delahaye, L., Wibail, L., Jacquemin, F., Dufrêne, M., Claessens, H. (2017) – La gestion patrimoniale des forêts anciennes de Wallonie (Belgique). Revue Forestière Française, 69(4-5) : 545-560.
  • Kervyn, T., Scohy, J.-P., Marchal, D., Collette, O., Hardy, B., Delahaye, L., Wibail, L., Jacquemin, F., Dufrêne, M., Claessens, H. (2018) – La gestion patrimoniale des forêts anciennes de Wallonie. Forêt.Nature, 148 : 30-42.
  • Kervyn, T., Herman, M. & Scohy, J.-P. (2021) – La gestion patrimoniale des forêts anciennes de Wallonie. Silva Belgica, 128(2) : 26-33.
  • Mausolf, K., Härdtle, W., Hertel, D., Leuschner, C., & Fichtner, A. (2020). Impacts of multiple environmental change drivers on growth of European beech (Fagus sylvatica): Forest history matters. Ecosystems, 23(3), 529-540
  • Yang, J., Blondeel, H., Boeckx, P., Verheyen, K., & De Frenne, P. (2023). Responses of the soil microbial community structure to multiple interacting global change drivers in temperate forests. Plant and Soil, 1-16.)